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ce fut avec un incontestable talent. Mais plus encore son âme ambitieuse et volontaire, son âme de « porphyrogénète hautaine, orgueilleuse de sa naissance et avide du pouvoir suprême, devait dominer sa destinée. Elle avait, comme elle-même l’a écrit quelque part, « une âme de diamant, » capable d’affronter toutes les disgrâces sans se laisser abattre, incapable aussi de renoncer à aucun des projets qu’elle avait caressés. Habituée de bonne heure à l’action, elle n’avait point été élevée en petite-maîtresse, dans le luxe et l’oisiveté. Energique, tenace, audacieuse, elle ne recula jamais devant aucun obstacle pour atteindre le but qu’elle s’était proposé, et il lui arriva parfois d’oublier dans l’affaire les inspirations de cette tendresse de cœur dont elle fait étalage si volontiers. L’ambition remplit la moitié de sa vie ; la littérature consola le reste, d’ailleurs assez imparfaitement ; car ses déceptions, ses rancœurs la rendirent profondément malheureuse. Et c’est là ce qui fait précisément l’originalité et l’intérêt de la figure d’Anne Comnène d’avoir été à la fois, dans cette complexe Byzance où elle vécut, une femme politique et une femme de lettres.


II

« Je n’avais pas huit ans, écrit-elle, lorsque commencèrent mes malheurs. » C’était en 1091, et voici ce qui lui était arrivé. Fille aînée de l’empereur Alexis, fiancée à Constantin Doukas, l’héritier présomptif de l’empire, Anne Comnène se croyait sûre du trône, lorsqu’en 1088 l’impératrice Irène donna un fils à son mari. La joie d’Alexis fut extrême d’avoir enfin un descendant mâle de sa race, et naturellement, à dater de ce jour, l’ordre de la succession fut modifié. Le basileus, si attentif jadis pour la mère de Constantin Doukas, si désireux en toutes choses de lui plaire, se refroidit pour elle. Sans doute, fidèle aux promesses faites, il ne voulut rien changer au projet de mariage ébauché entre les deux enfans princiers ; mais il crut bon de retirer la petite Anne Comnène des mains de sa future belle-mère et cette séparation fut pour l’enfant un premier et grand chagrin. Quelques mois plus tard, survint un événement plus grave. Le fils d’Alexis, Jean, âgé de trois ans, fut solennellement associé à l’empire. C’était la ruine de toutes les espérances que sa sœur aînée avait pu concevoir. Anne Comnène gardait bien