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l’Allemagne, notre sécurité ne saurait trouver dans celle-là une garantie bien forte. Mais sans doute il en a d’autres. Pour notre compte, nous restons à ce sujet incertains et perplexes. Nous n’oserions pas dire, avec l’assurance qu’y met M. Delcassé, qu’il n’y a eu aucun danger de guerre en 1905. Qui sait même s’il n’y en a pas encore, et toujours ? C’est une éventualité qu’il est sage de regarder constamment comme possible, ne fût-ce que pour ne pas s’exposer à devenir une fois de plus la proie d’une panique peu honorable. Il y a certainement, dans l’état général de l’Europe et du monde, plusieurs germes de guerre, qu’on étouffera, nous l’espérons bien, mais qui peuvent déjouer toutes les précautions et prendre tout d’un coup des développemens redoutables. A-t-il failli en être ainsi en 1905 ? En vérité, nous n’en savons rien. Peut-être aurait-il fallu peu de chose pour déchaîner ces amours-propres qu’on décore si facilement du nom d’honneur national et pour susciter le péril devant lequel tout le monde a reculé, l’Allemagne comme nous. Aujourd’hui, la Chambre, pleinement rassurée, montre la quiétude merveilleuse de Panurge après la tempête : faut-il en conclure que, si elle était mise à la même épreuve que sa devancière, elle s’en tirerait mieux ? Nous avons, en effet, éprouvé une grande humiliation de la manière dont a été perpétrée la chute de M. Delcassé en 1905, et il y avait sans doute quelque chose de ce sentiment dans l’accueil que la Chambre a fait en 1908 à l’ancien ministre : elle aussi éprouvait le besoin d’une revanche. Certains souvenirs, même lorsqu’ils s’effacent de la mémoire, laissent dans la subconscience des traces qui réapparaissent au moment où on y pense le moins.

M. Delcassé a émis dans son discours l’opinion très ferme qu’il n’aurait pas fallu aller à la Conférence d’Algésiras : hâtons-nous d’ajouter que, la faute une fois commise, il estime que nous devons remplir très loyalement les obligations que nous avons acceptées. Mais était-ce vraiment une faute d’aller à la Conférence ? Reportons-nous au moment où nous avons pris cette détermination : pouvions-nous ne pas la prendre ? N’aurions-nous pas risqué, en nous y refusant, de perdre quelques-unes des sympathies qui se sont alors si nettement manifestées en notre faveur ? L’événement a prouvé que ces sympathies étaient nombreuses dans le monde ; mais personne ne désirait que la tension qui existait entre l’Allemagne et nous s’aggravât encore plus, et on nous a su gré de nos efforts pour écarter ce danger. Aussi est-ce autour de nous que se sont groupées les puissances : elles ne pouvaient pas méconnaître et elles ont reconnu les