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ternir un honneur pour lequel j’ai si souvent risqué ma vie ?

Il était d’humeur en effet à ne plus ménager personne. Son parti était pris de traiter gens et choses avec la souveraine désinvolture qu’il y eût mise autrefois.

Orméa, mandé à comparaître, fut salué par cette algarade : « Sachez d’abord que je n’accepterai ni remontrances, ni conseils, pas plus de vous que d’aucun de vos collègues ; vous n’aurez d’ordres à prendre que de moi, j’entends être désormais informé de tout. Je déciderai de tout. La moindre résistance me fera révoquer mon abdication. Elle ne tient d’ailleurs qu’à un fil, » ajouta le Roi qui, bientôt, ne se maîtrisant plus, accusa son fils de n’être qu’un monstre d’ingratitude.

— Il a fait mourir sa mère et sa première femme de chagrin[1], il m’a obligé moi-même à me remarier pour retrouver un peu d’affection ; j’ai perdu ma santé à être si indignement traité ; mais tout cela cessera, je suis revenu pour relever le Piémont, que j’avais fait si grand, de la honte où l’a laissé choir mon fils ; mon fils, je le ferai marcher droit.

Ce disant, il allait, venait à travers la pièce, brandissant violemment sa canne ; s’arrêtant tout à coup devant Orméa :

— Quant à toi, je t’ai tiré du néant, je t’y replongerai ; tu es d’une race de pendus, puisque ton grand-père l’a été. Tu n’éviteras pas le même sort, ce sera la récompense de ta trahison. Je te ferai voir que je suis encore le maître ; je le serai pour faire dresser quatre potences : tu auras la tienne, les trois autres seront pour tes indignes collègues[2].

Orméa répondit noblement :

— Je sais que je dois tout à Votre Majesté ; ma vie et mon sang témoigneraient au besoin de ma reconnaissance, mais je ne puis, quand même, faire à Votre Majesté le sacrifice de mon honneur.

Là-dessus, il salua et sortit.

La marquise de Spigno, qui le guettait, s’informa anxieusement de l’entretien.

Orméa répondit que tout s’était borné, de la part du Roi, à quelques plaintes vagues à propos de l’ingratitude de son fils ; sur quoi la marquise de renchérir, en disant qu’elle avait, en effet, bien souvent entendu feu la Reine se plaindre du mauvais cœur de Carlin.

  1. Voyez Carutti, p. 492.
  2. Voyez Blondel, Anecdotes, p. 579.