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Le Roi n’en croit ni ses oreilles ni ses yeux : cette troupe, ce La Pérouse dans sa chambre à pareille heure :

— Sortez ! crie-t-il suffoqué.

— Sire, j’ai l’ordre de m’assurer de Votre Majesté.

— L’ordre de qui ?

— Du Roi.

— Le Roi, c’est moi, je n’ai délié personne du serment de fidélité. Je suis le maître.

— Il n’y a qu’un Dieu et qu’un maître, Sire. Votre Majesté m’a elle-même donné son fils pour Roi, je lui obéis.

— Et qui donc osera mettre la main sur moi ?

— Personne, car Votre Majesté ne nous y obligera pas. Alors, Victor-Amédée, sans répondre, se renfonce sous ses couvertures, enlace la marquise de Spigno, et ne bouge plus.

Un quart d’heure se passe. La Pérouse respecte cet embrassement qu’il croit être un adieu ; rien ne bouge dans ce lit qu’entourent colonels et grenadiers, les uns baïonnette au canon, les autres armés de torches.

— Sire, reprend enfin La Pérouse, j’ose supplier Votre Majesté de se prêter de bonne grâce aux ordres dont je suis porteur.

Pour toute réponse, le Roi plonge plus avant dans son lit.

— Solaro, dit La Pérouse à l’officier chargé d’arrêter la marquise, faites votre devoir, je vais faire le mien.

La scène, dont sont alors témoins les grenadiers ahuris, n’a de pendant dans aucune histoire. Les quatre colonels s’en prennent au Roi et à sa femme qu’ils s’efforcent de désenlacer ; les couvertures, les draps sont en l’air, jusqu’à ce qu’enfin, la marquise, arrachée des bras de son mari, soit traînée moitié nue dans un cabinet voisin.

Pâmé de colère, d’effroi, de honte, de stupeur, sans souffle, sans parole, Victor-Amédée est retombé sur son lit.

— Sire, notre devoir est infiniment douloureux, supplie La Pérouse, ému jusqu’au larmes de ce lamentable spectacle, ne le rendez pas encore plus douloureux.

— Non, reprend violemment le Roi qui s’est retrouvé, je veux voir jusqu’où peut aller l’ignominie, la scélératesse des ministres de mon fils, car lui ne peut s’être rendu coupable d’un tel attentat.

La Pérouse n’y contredit pas. L’espérance d’une vengeance entrevue décide enfin Victor-Amédée à céder. Tandis qu’il descend