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Ils y végétèrent six mois. Chaque lendemain diminuait chez le Roi les forces et l’intelligence de la veille ; il tombait en enfance, divaguait sans cesse, voulait se faire moine, suppliait qu’on le délivrât de sa femme. Bientôt il ne put plus quitter son lit où il passait ses journées à faire des châteaux de cartes.

Parfois, cependant, il demandait encore craintivement son fils. «Je lui pardonne. Je pardonne à Orméa, » disait-il quand une lueur de raison lui revenait, mais ce n’était que lueur bientôt éteinte.

La mort semblait prochaine ; les médecins en avisèrent le Roi qui ne vint pas. Orméa, implacable jusqu’au bout, se dressait encore, à l’heure où l’agonie commençait, entre le mourant et son fils. Tout allait finir. Autour du lit, il n’y avait que la marquise et quelques capucins en prières.

Le 31 octobre, Solaro écrivit à Turin pour demander des ordres. La réponse fut que, si le Roi mourait dans la nuit, on démolît les murs, qu’on jetât bas les palissades, qu’on dégrillât les fenêtres, de façon que nulle trace de prison ne restât lors de la venue de Charles-Emmanuel.

Orméa pouvait enfin lui permettre de venir, car Victor-Amédée était mort à neuf heures[1].


Le besoin de flatter et de mentir est, hélas ! si grand parmi les hommes, qu’il s’est trouvé un panégyriste pour évoquer le pauvre mort et lui faire dire dans une délirante prosopopée : « Venez, mon fils ; venez, vous qui, comme les enfans respectueux de Noé, avez caché les faiblesses de votre père ; venez recevoir de lui une dernière bénédiction[2]... »


COSTA DE BEAUREGARD.

  1. 31 octobre 1732.
  2. Notes inédites. Au lendemain de la mort de son mari, la marquise de Spigno fut envoyée au couvent de Saint-Joseph, à Carignan. Elle fut de là transférée au monastère de la Visitation, à Pignerol. Elle y mourut dans un âge assez avancé, sans être jamais sortie de sa retraite.