Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/797

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

barbares et qu’à rallier la route royale, mais il faut que les classiques à qui nous faisons soumission nous accordent les honneurs de la guerre, et qu’en nous enrôlant sous leur discipline parfaite, ils nous laissent nos riches bagages et nos bannières assez glorieuses. »

Chargés de sens, lourds de symboles et voilés par une brume d’ironie, il est communément admis que les premiers livres de M. Barrès ne peuvent se déchiffrer sans le secours d’un scoliaste. L’auteur l’a si bien compris qu’il a daigné rédiger de ses propres mains un manuel de métaphysique Barrèsienne. Les personnes graves qui affectent de tenir M. Barrès pour un écrivain frivole n’ont assurément jamais ouvert ce petit livre, mais la critique n’a eu garde de négliger un si précieux commentaire. Je crains même qu’on n’ait souvent donné plus d’attention à la glose qu’au texte lui-même. « On se souvient, — écrivait jadis ce délicieux radoteur de Cazotte, — qu’à vingt-cinq ans, en parcourant l’édition complète du Tasse, on tomba sur un volume qui ne contenait que l’éclaircissement des allégories renfermées dans la Jérusalem délivrée. On se garda bien de l’ouvrir. On était amoureux passionné d’Armide, d’Herminie, de Clorinde ; on perdrait des chimères trop agréables si ces princesses étaient réduites à n’être que de simples emblèmes. » On eût de même été plus sage de ne pas ouvrir le petit bréviaire du Culte du moi. Mais aujourd’hui nous sommes plus pressés de comprendre un livre que désireux de le goûter à loisir. Il est si doux et si facile de philosopher !

Quoi qu’il en soit, le manuel de M. Barrès a été reçu comme l’interprétation orthodoxe de la première trilogie. Culte du moi, Sous l’œil des barbares, culte du moi, l’Homme libre, culte du moi, l’exquise Bérénice ; la vive formule, amie de la mémoire, offrait un piquant mélange de clarté, d’impertinence et de mystère qui fit sa fortune. Accueillie par les uns avec componction, avec horreur par les autres, elle semble inséparable du nom de M. Barrès, elle est son Vase brisé ; qui dit Barrès, dit culte du moi. Ainsi l’a-t-il voulu lui-même, et après lui l’ont voulu de même tous ceux qui ont essayé de le définir.

Je ne sais trop de quelle humeur M. Barrès, ainsi prisonnier, traîne aujourd’hui ce boulet sonore. Mais il est galant