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homme et n’a jamais boudé les caprices de sa prime jeunesse Souple d’ailleurs et dialecticien comme pas un, il n’a point eu de peine à nous démontrer que la seconde de ses idées maîtresses n’était, que le développement de la première. Le culte de la Lorraine est au culte du moi ce que la fleur est à la tige ; se cultiver, c’est s’approfondir, et on ne va pas au fond de soi-même sans y trouver « la terre et les morts. »

« Penser solitairement, c’est s’acheminer à penser solidairement… Le travail de mes idées se ramène à avoir reconnu que le moi individuel était tout supporté et alimenté par la société. »

Il a raison. Bien loin de se contredire, les deux systèmes se tiennent. Le premier appelle le second, le second achève et couronne le premier. Il n’y a pas eu d’enfant prodigue, pas de conversion. Que M. Barrès se rassure, nous ne tuerons pas le veau gras.

Aussi bien, que nous importe le culte du moi ? En vérité, rien ne nous oblige à accepter de confiance le commentaire étriqué, rectiligne, à fleur de texte que l’auteur de Bérénice, scoliaste et bourreau de soi-même, nous a donné de ses premiers romans. Le culte du moi est une de ces gloses impuissantes qui n’éclairent pas le texte et qui risquent de le fausser. Synthèse hâtive, échafaudage branlant, il n’y avait pas là de quoi crier au miracle, — le miracle était ailleurs, — ni encore moins au scandale. Est-ce bien rare en effet, et bien sacrilège de nous rappeler qu’il faut cultiver notre jardin, et de s’abandonner, mais de parti pris et avec méthode, à « la pente involontaire que nous avons à nous représenter sans cesse à nous-mêmes[1] ? » Que notre philosophe rédige donc le rituel du culte du moi ; que Philippe, son héros, par endroits s’arrête de vivre pour réciter la savante leçon qui lui fut apprise, c’est leur affaire à tous deux ; la nôtre, plus délectable et beaucoup moins simple, est de retrouver, dans les expériences de Philippe, la pensée secrète de M. Barrès.

Le titre qu’il a donné au premier volume de la trilogie du culte du moi me semble plus révélateur que celui de la trilogie

  1. Malebranche, Conversations chrétiennes, ch. II.