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elle-même. A la vérité, ces trois mots : Sous l’œil des Barbares, ne laissent tomber sur l’ensemble du volume qu’une clarté sibylline. Pour être à même d’en dégager le sens prophétique, il faut avoir accompagné M. Barrès jusqu’à son discours de réception à l’Académie. Là est précisément l’extraordinaire intérêt de ce premier livre et de la trilogie tout entière. Ce que le talent de M. Barrès a de plus intime, de plus original, et, si l’on peut dire, de plus nécessaire, éclate déjà dans cette œuvre que certains juges, trop ennemis de leur propre plaisir, absolvent d’un revers de main, comme péché d’une impertinente jeunesse. Jeunes, à coup sûr, mais d’une jeunesse déjà presque trop grave, impertinens, si l’on veut, mais d’une impertinence qui n’a pas tué le sens du respect, offrant d’ailleurs un mélange peut-être unique de candeur et d’ironie, d’enthousiasme et de clairvoyance, moins achevés que le Voyage de Sparte, mais plus spontanés, plus divers, plus naïvement sincères ; les vrais amis de M. Barrès restent obstinément fidèles à ces trois chefs-d’œuvre d’humour, de poésie et de divination introspective ; ils estiment que M. Barrès, vainqueur en tant d’autres rencontres, n’affirma cependant jamais avec plus de décision son originalité conquérante.

Sous l’œil des Barbares est une série de méditations et de récits symboliques inspirés à l’auteur par les souvenirs les plus aigus de ses expériences de jeunesse. Le lien qui rattache les uns aux autres ces curieux fragmens semble assez lâche, et là synthèse que résume le titre assez complaisante, mais il n’en est pas moins merveilleux que, dès son premier livre, l’auteur ait démasqué ses ennemis naturels, et leur ait livré, dans ces essais de jeunesse, une première bataille. Ces ennemis, à vrai dire, il les devinait alors plutôt qu’il ne les connaissait, mais déjà pourtant il les nommait de leur vrai nom, et par là, il s’obligeait lui-même à ne jamais capituler devant eux.

Il y a barbare et barbare. C’est ainsi, par exemple, qu’on rencontre, rôdant autour du Jardin de Bérénice, un barbare inférieur à peine digne de ce nom et à qui M. Barrès a fait vraiment trop d’honneur on l’appelant l’adversaire. Le barbare authentique est bien autrement redoutable que ce Martin. « Grave erreur, lisons-nous dans le livret métaphysique, de prêter à ce mot barbares la signification de « philistins » ou de « bourgeois. » Si Philippe se plaint de vivre sous l’œil des barbares, ce n’est