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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/828

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encore ce tour de force en préludant à l’aigre cantique de l’acceptation par une symphonie somptueuse. L’auteur de Du sang et d’Amori et Dolori sacrum n’a rien orchestré avec plus de soin et de succès que les trois chapitres sur Sainte-Odile qui conduisent dans son dernier roman à la grêle épopée du volontaire alsacien. Tout est réuni pour rendre ce navrant récit plus pénible. Les « couleurs provinciales » du jeune Ehrmann paraissent encore plus « germaniques » à côté de la délicieuse frivolité, de la raison agile de Mme d’Aoury. Bref, pour nous intéresser au récit de ses aventures, M. Ehrmann ne peut compter que sur la poésie de l’acceptation et sur la « beauté morale » d’une libre volonté qui se range « dans sa prédestination. » Tel quel, néanmoins, Au service de l’Allemagne est un chef-d’œuvre, le plus beau livre peut-être que M. Barrès ait publié jusqu’à ce jour. J’aurais trop à dire, si je voulais célébrer dans le détail l’ordonnance un peu capricieuse de cet ouvrage, la richesse des images et des pensées qui relève une si mince matière, la modération dont l’auteur ne se départ pas aux endroits les plus critiques, la convenance parfaite entre le symbole et la doctrine, l’éloquence discrète et persuasive de ce plaidoyer en faveur de l’acceptation. Car on entend bien que l’aventure du volontaire alsacien est un symbole, tout comme la Lorraine de l’Appel au soldat, et que le bénéfice de cet exemple héroïque n’est pas réservé aux seuls Alsaciens. Au service de l’Allemagne est le commentaire vivant, l’illustration pittoresque du vieil adage que je rappelais au commencement de cette étude : Spartam nactus es, hanc adorna. Timide formule du classicisme littéraire et moral, prudente devise ennemie des trop longs espoirs et des trop vastes pensées, mélancolique bréviaire de la sagesse des vieux âges, — pour que l’auteur de Du sang, de la volupté et de la mort en soit venu non seulement à vous répéter de toute son âme, mais encore à vous amplifier magnifiquement dans son œuvre entière, n’a-t-il pas fallu un véritable miracle de la tradition et de la raison françaises ?


HENRI BREMOND.