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et moins brillante que leurs voisins serbes ; mais ils ont ce sens de la hiérarchie et de la discipline qui est la qualité distinctive des races tartares, turques ou mongoles ; ils sont plus gouvernables que les Slaves, plus maniables ; ils se plient aisément à toutes les circonstances et s’adaptent à tous les milieux, ils sont imitateurs et, si leur esprit est rarement inventif, il s’assimile aisément les connaissances qui lui sont enseignées. Le Slave aime la poésie et les chants ; il a l’esprit fin, ingénieux, subtil ; il poursuit des rêves mystiques, des utopies sociales ; il est individualiste, anarchiste même ; le Bulgare est utilitaire et pratique ; c’est un paysan et un soldat, âpre au gain, dur à la besogne, rude aux autres et à lui-même ; très brave, prodigue de son sang, mais peu ménager de celui d’autrui ; il est souvent resté grossier, brutal, il a peu d’aptitude aux beaux-arts et peu de goût pour la vie policée des villes ; mais, dans un pays où la lutte pour la vie est encore particulièrement âpre, il est bien armé pour y réussir ; il a ce que le président Roosevelt appelait un jour « les grandes vertus nécessaires » sans lesquelles un peuple ne saurait constituer un État organisé et puissant.

La Bulgarie, nouvelle venue parmi les nations, avait besoin d’un chef. Restée rude comme une fille sauvage qui tout à coup se trouverait transplantée dans une cité moderne, plus habile à frapper d’estoc qu’initiée aux belles manières diplomatiques du « concert européen, » toute frémissante de passions politiques, d’ambitions nationales et d’appétits individuels, entourée de pièges redoutables et de tentations plus dangereuses encore, travaillée par des intrigues étrangères, il lui fallait un souverain qui la représentât et qui parlât en son nom aux rois et aux chefs d’État, qui fût de leur famille, on pourrait presque dire de leur monde, et qui, en même temps, se tînt en dehors et au-dessus des partis pour pouvoir demeurer leur arbitre. Les Bulgares n’avaient chez eux aucune famille princière ; ils étaient donc dans la nécessité de s’adresser à un étranger. Mais où rencontrer l’homme d’une telle situation, l’homme qui viendrait de son plein gré, non comme un passant de l’ambition et de la politique, mais avec la volonté de s’identifier à son peuple et de comprendre son âme jusqu’à incarner ses aspirations nationales ? Il fallait aussi qu’il ne cessât pas d’être lui-même, c’est-à-dire, un prince venu du dehors, dont le dévouement et les services seraient, en quelque sorte, la récompense de la sagesse politique