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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/865

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L’ARRIVÉE


C’est le matin de la Mille et Unième Nuit…
Le navire léger glisse sur l’onde plane ;
La mer est transparente et l’air est diaphane ;
L’alcyon nous précède et le dauphin nous suit.

Sur Stamboul, que nos yeux connaîtront aujourd’hui,
Un brouillard vaporeux flotte, s’étend et plane ;
Les fuseaux des cyprès à des mains de sultane
En ont filé les fils d’argent où de l’or luit.

Ainsi nous apparut, ô Ville orientale,
Ton visage secret et souriant et pâle
Sous le voile subtil de l’aube et de l’été.

Comme Schéhérazade, ô toi, dont, belle encore,
Le Temps au sabre courbe épargna la beauté
Pour entendre ta voix lui parler à l’aurore !


L’AVEUGLE


Sa jeunesse jadis a vu naître l’aurore
Dans le ciel matinal et sur les calmes eaux,
Et le soleil, de ses rayons horizontaux,
Teindre de mille feux les ondes du Bosphore

Maintenant, devant lui, la foule au pas sonore
Passe invisiblement sans hâte ni repos,
Et ses yeux, sur le monde, à jamais se sont clos.
Son regard ne voit pas l’aumône qu’il implore.

Sur le grand pont qui joint Stamboul à Galata,
Pareil au Souvenir, chaque jour, il est là.
Si la ville, là-bas, est d’or ou d’hyacinthe,

Qu’importe ! Un rêve ardent remplit sa cécité
Car il conserve encor, vivante en sa beauté,
Constantinople au fond de sa prunelle éteinte !