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miraculeuse évasion, — nous dit, en terminant, M. de Préneuf ; — mais le temps et les adversités me les ont fait oublier. Il est certain que, dans le monde des guichetiers et des gardiens, il y eut, à cette époque, sous des apparences brutales, rendues nécessaires par l’épouvantable tyrannie qui pesait sur tous, des âmes sensibles et des dévouemens désintéressés qui sont restés inconnus. J’ai, pour ma part, pendant ma détention aux Prémontrés, connu un gardien qui ne me cacha pas ses sentimens, et qui me rendit, autant qu’il le pouvait, bien des petits services. »


Pendant que l’abbé de Préneuf « vivait au jour le jour » parmi la foule nombreuse et mêlée des émigrés de Bruxelles, trois dames nobles et riches qu’il avait fréquentées naguère à Maestricht lui firent savoir qu’elles seraient heureuses de le recueillir chez elles. Ravi d’une offre aussi précieuse qu’imprévue, l’abbé reprit aussitôt le chemin de Maestricht ; et les quelques semaines du second séjour qu’il y fit furent, certainement, l’une des périodes les plus heureuses de toute la durée de son émigration. Mais bientôt la menace d’une nouvelle approche des armées républicaines allait contraindre ses bienfaitrices à quitter la ville, et le forcer lui-même, une fois de plus, à errer tristement sur les routes de l’étranger. Le 11 juillet 1794, il « prit la fuite » avec trois de ses confrères, et se dirigea vers l’Allemagne où devait s’écouler, désormais, le reste de ses années d’exil.


III

Après un voyage assez accidenté jusqu’à Cologne et quelques semaines encore de repos dans cette ville, où le curé de la vénérable église Saint-André eut l’obligeance de « lui fournir des messes pendant tout son séjour, » l’abbé de Préneuf se remit en route, le 24 septembre 1794, sans trop savoir où aller. Sur le bateau qui le conduisait à Mayence, il rencontra un brave négociant de Mittenberg, qui l’invita à s’arrêter dans cette petite ville ; et bientôt, grâce aux démarches généreuses de cet étranger, notre abbé eut la joie inattendue de trouver une installation régulière dans une bourgade voisine, Stadt Prozelten, sur le Mein, dont le curé s’entendit avec six de ses paroissiens pour le recevoir à leur table, chacun un jour par semaine. « Tous les samedis je dînais et je soupais chez le curé ; le dimanche, chez