Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/917

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

durs de mon exil : relégué dans une chambre haute, sans feu, sans aucune aide, méprisé même par les domestiques, qui ne se gênaient pas pour me faire sentir qu’on me faisait l’aumône, et qui plaisantaient sur mes vêtemens usés et le peu de linge que j’avais pu conserver ! Je me couchais aussitôt que possible, et j’étais réduit à garder le lit, quelquefois, pendant douze heures de suite… Je ne pouvais, en dehors des heures de leçons, me présenter dans la chambre des enfans ; et quand je me risquais auprès du feu de la cuisine, les valets, qui voyaient comment leurs maîtres agissaient envers moi, me bousculaient, ou tenaient de tels propos que je devais me retirer. »


Cette situation d’un prêtre et gentilhomme français avait quelque chose de si scandaleux que les châtelains des environs finirent par s’en émouvoir ; et nous pouvons nous figurer ce que durent être le soulagement et la joie de notre pauvre abbé lorsque l’un de ces châtelains, le baron Henri de Welhoff, vint l’arracher à sa servitude, pour l’installer chez lui, où lui-même, sa jeune femme, et toute sa famille s’ingénièrent à le consoler des grossièretés des barons de Beulwitz. Ce fut littéralement, pour l’abbé de Préneuf, le « bon Fridolin » succédant au « méchant Thierry. » Toutes les pages qu’il a consacrées au récit de son séjour chez les Welhoff sont comme éclairées d’un rayon de soleil ; il n’y a pas un détail de ce séjour qui ne lui ait laissé au cœur un souvenir exquis. Qu’on lise, par exemple, ces quelques lignes, prises un peu au hasard : « Parmi les distractions, je dois dire que la musique était en grand honneur. Ces dames jouaient à merveille du clavecin et de la harpe ; et c’est là que j’entendis, avec un plaisir et une émotion qui me sont encore restés présens, les sublimes productions de Mozart, qui venait de mourir. Cette musique d’une harmonie si belle et d’une inspiration si élevée, d’une pureté et d’un accent à la fois triste et doux, me faisait oublier, en l’entendant, mes misères passées, et celles que me réservait encore, peut-être, l’avenir. »


IV

En réalité, les « misères que réservait l’avenir à l’abbé de Préneuf devaient, désormais, lui paraître très suffisamment tolérables, en comparaison de celles que lui faisait ainsi oublier la