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l’autre côté tous les sophismes et tous les coquins. Au contraire, la pièce à idées ne sacrifie aucune des idées qu’elle doit mettre en relief. Elle présente chacune d’elles sous son meilleur jour. Certes l’auteur dramatique, pas plus que l’historien, ne se pique de neutralité ; il n’affecte pas de rester impassible, ce qui ne pourrait provenir que d’indifférence et engendrer que froideur. Il n’a pas la faiblesse de croire que toutes les idées se valent. Mais il sait que même les plus fausses peuvent par quelque côté séduire une âme honnête. En le montrant, il fait effort de loyauté. Cette attitude loyale du moraliste vis-à-vis des idées entre lesquelles va s’établir le conflit, est ce qui frappe d’abord dans Un divorce.

Ces idées, ce sont les diverses conceptions du mariage qui coexistent dans notre société d’aujourd’hui, si diverses vraiment qu’elles mettent entre ceux qui les ont adoptées des différences plus profondes que la race ou l’époque, l’écartement de l’angle facial ou la couleur de la peau. La conception religieuse d’abord. Pour ceux qui croient que nous sommes des créatures dans la main de Dieu, il va sans dire que le mariage est un acte essentiellement religieux. Ils ne nient pas que l’intervention de la loi ne soit nécessaire : c’est elle qui règle l’état des fortunes, tranche les questions d’intérêt et précise les droits. Mais quel pouvoir a-t-elle pour unir les âmes ? Le mariage est un « sacrement, » et hors du sacrement il n’y a pas de mariage ; mais tout ce qui est une émanation de la vie divine ayant part à son éternité, de son essence religieuse découle pour le mariage son indissolubilité. — La conception laïque. Si au contraire nous avons exorcisé de la création le sens divin et si nous croyons n’avoir affaire qu’à la société de nos semblables, le mariage devient un contrat pareil à tous ceux qui régissent les rapports sociaux. Comme tout contrat, il a pour objet de nous défendre contre les autres d’abord, mais aussi contre nous-mêmes, de s’opposer aux caprices de notre humeur, aux suggestions de notre instinct et de nous hier par nos propres engagemens. Contrat délicat et grave entre tous, mais qui se conforme au caractère de toutes les choses humaines, toujours révocable et toujours fragile. La conception individualiste. Chaque individu est par définition un être libre. Il ne relève que de sa conscience. Lorsque deux êtres, pareillement indépendans, ont résolu de se donner l’un à l’autre, en quoi cela regarde-t-il la société ? Comment n’aurais-je pas, à tout moment, le droit de rejeter un lien que j’ai forgé moi-même ? Tout engagement qui limite mon indépendance n’est-il pas contraire à la nature et ne porte-t-il pas atteinte aux droits de la personne ? —