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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/930

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Telles sont les idées qui, en se heurtant, vont faire jaillir le drame, idées irréductibles, idées inconciliables et dont la rencontre ne peut manquer d’être fertile en catastrophes.

Une lutte d’idées, si dramatique soit-elle, ne constitue pas un drame ; d’aucuns diront qu’elle en serait plutôt le contraire. Si l’auteur a d’abord conçu sa pièce in abstracto, au lieu de voir se dresser devant lui des créatures de chair et de sang, on peut craindre qu’il ne sache pas réparer dans la suite cette erreur initiale. Ses acteurs ne seront que des entités bataillant à coups d’argumens, comme on voit dans l’enfer païen des fantômes sans os se poursuivre de vaines blessures. Tel est le danger, quand on met des idées au théâtre : elles risquent d’y rester à l’état d’idées, sans parvenir à trouver un corps où se loger. Le dialogue du Juste et de l’Injuste est un beau thème à discussion, mais qui aurait sa place dans l’école des sophistes mieux encore que sur la scène. Il nous faut ici des êtres concrets, et non de purs esprits, mais des hommes dont la raison est échauffée, exaltée, égarée par la passion. Cela même fait l’attrait du théâtre et, pour un Bossuet, en faisait le danger ; c’est qu’on y voit de vrais yeux d’où coulent de vraies larmes. Là même est le mérite essentiel de Un divorce, celui sur lequel on ne saurait trop insister : on y respire une atmosphère de réalité, et les êtres qui s’y meuvent, dans un milieu qui est exactement celui de notre temps, y font constamment figure d’êtres vivans.

Chaque personnage, en effet, nous apparaît comme type et comme individu, avec sa physionomie nettement marquée à l’empreinte d’aujourd’hui, tel que nous avons pu le rencontrer hier, ou tel que nous le coudoierons demain, dans la rue ou dans un salon. Darras est le libre penseur honnête homme. Très laborieux, très scrupuleux il est un exemplaire accompli de toutes les vertus laïques. Ces vertus qui, chez un chrétien, auraient pour support la charité, sont, chez lui, à base d’orgueil. Il fait volontiers étalage de sa raison et montre de sa supériorité d’esprit. Il a le pédantisme de ses convictions, comme on reconnaît le parvenu à l’ostentation de sa richesse. Non content, au surplus, d’être détaché des croyances qui ont longtemps bercé l’humanité, il les tient pour funestes : au fond de lui gronde une sourde irritation contre ces ouvrières d’erreur. Il déteste le prêtre et son influence. Il voudrait chasser de nos mœurs et déraciner de nos cœurs tant de germes qu’y ont déposés des siècles de christianisme. Mais cet homme d’une certaine mentalité est aussi l’homme d’une certaine condition. Bourgeois riche et bien posé, il a à défaut d’autre, le culte de la