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l’application des principes dvi socialisme au cadre local et au domaine spécial de l’activité des grandes villes, ou, si l’on veut, cet ensemble de tendances, mobiles et variées, qui portent les municipalités à sortir de leur rôle administratif pour pénétrer sur le terrain économique, soit pour réglementer l’initiative privée, soit pour lui faire concurrence, soit même pour l’absorber en se faisant elles-mêmes industrielles et commerçantes. On n’ignore pas que le bas-empire romain avait déjà inventé la loi du maximum ; que la taxation du pain, des céréales, était courante en France dès les Carolingiens, et que bien des villes sous l’ancien régime tenaient des boulangeries, des boucheries, faisaient le commerce des grains, etc. : tout un livre, d’ailleurs fort savant, a pu être écrit sur le Socialisme municipal à travers les siècles[1]. De nos jours, il était inévitable que les progrès du socialisme dans l’Etat fussent accompagnés par ceux du socialisme dans la commune. L’extraordinaire développement actuel du municipalisme tient particulièrement à deux des grands faits caractéristiques de la société moderne, au développement des grandes villes, d’abord, avec leurs besoins nouveaux, les nouvelles conditions de la vie locale, puis à l’avènement politique de la démocratie urbaine, avec ses ambitions, ses audaces, sa méfiance de l’initiative privée, sa jalousie de tout monopole et son aversion pour les maîtres du « capital, » pour la « finance, » pour ce qu’un ministre français appelait un jour « le monde du dividende[2]. »

Au développement du socialisme municipal, l’Angleterre offrait, malgré les apparences, un terrain favorable. Nulle part, en effet, la poussée de la population vers les villes ne s’est fait sentir plus fortement : la population urbaine, qui ne dépasse guère en France la moitié de la population totale, atteint 78 pour 100 en Grande-Bretagne. De plus, nulle part les institutions locales ne témoignent de plus de vigueur, d’initiative et

  1. Par M. A des Cilleuls. Paris, 1905.
  2. On ce qu’un ministre anglais, M. Birrell, K. C, appelait, dans un discours à Colchester, en 1902, la « spéculation… » Car cet état d’esprit se rencontre en Angleterre comme en France. Dans certaine enquête parlementaire sur la réglementation des conditions de l’éclairage électrique dans les villes, en 1886, lord Rayleigh, le grand physicien, interrogeant le secrétaire du Board of Trade, se vit répondre par des déclarations telles qu’il crut devoir les résumer en ces mots : « Vous en arrivez donc à ceci, qu’il est moins important d’assurer l’éclairage au public que d’empêcher les compagnies de faire des bénéfices ! » (Lord Avebury, op. cit., p. 111.)