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les défauts certains et les abus possibles de l’administration des sociétés commerciales, on ne peut nier qu’un mandat électoral ne soit une médiocre garantie de bonne gestion comparé à celle qu’assure une responsabilité personnelle et pécuniaire, ni que la gratuité de gestion ne soit point d’habitude une heureuse pratique en affaires. D’ailleurs, si, au cas de concession, les membres et les agens de l’assemblée municipale sont là pour contrôler la gestion du concessionnaire, qui donc, au cas de régie directe, contrôlera le régisseur, c’est-à-dire l’assemblée elle-même : quis custodiet custodes ? — Mais sans insister sur cette vue théorique, que voyons-nous dans la pratique anglaise ? Non seulement la gestion des industries municipalisées est, de l’aveu général, plus coûteuse que celle des industries concédées, car le régime démocratique est prodigue par nature, mais elle manque de cet esprit d’invention et de progrès, de cet effort vers le mieux, de ce tact commercial, de cette ténacité d’entreprise qui sont l’âme des affaires. « D’une façon générale, déclarait M. Chandos Leigh, « conseil » du speaker de la Chambre des communes, devant la Commission d’enquête en 1900 sur le Municipal Trade, on peut dire que les municipalités n’ont rien inventé ou inauguré en matière d’électricité, de gaz ou de tramways… » Leur gestion est relâchée, somnolente[1]. Elles ne cherchent pas le client, ne savent pas l’attirer, le provoquer. Salford, avec ses 218 000 âmes, n’a que 404 abonnés à son électricité ; Bedford, ville de 35 000 habitans, n’en a que 591 ; Morley (23 000 âmes), 85 ! La ville de Bath, après avoir organisé au prix de 150 000 livres sterling une station génératrice d’électricité, dut la fermer, en 1902, en raison des pertes subies. Glasgow dépensa 900 000 livres sterling pour la création d’une station centrale de téléphones qu’il fallut remplacer au bout d’un an. Cette même ville, ayant racheté en 1894 ses tramways, en continua plusieurs années l’exploitation à traction

  1. Pratiquement, on sait que c’est du manager ou directeur que dépend le succès d’une affaire industrielle. A l’origine, les municipalités l’avaient compris. We pay for brains, disait un conseiller socialiste de. Manchester : nous savons ce que vaut l’intelligence, et nous la payons. Mais au fur et à mesure du développement du municipalisme, ce principe salutaire s’est vu quelque peu abandonner, et la guerre aux gros traitemens a commencé. La London Progressive Platform de 1892 annonçait la prétention de « contrôler jalousement l’échelle des hauts salaires, » et, en 1902, le Labour Leader félicitait les conseillers de Wolverhampton de « s’opposer à toute augmentation de salaire des fonctionnaires municipaux tant que les ouvriers ne jouiraient pas d’un minimum de paie. » (Darwin, op. cit., p. 152. — Articles du Times.)