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opérées dans la vie d’un peuple ou dans l’histoire d’une race. La double influence des préoccupations économiques, d’une part, — c’est-à-dire l’inquiétude née du bouillonnement manifeste dont les couches laborieuses ou souffrantes sont depuis longtemps agitées, — et, d’autre part, le renouveau de curiosité qui s’est porté vers les études historiques avec une force impétueuse dont le succès des « Souvenirs » et des « Mémoires » fournir chaque jour une attestation suffisante, cette double influence a agi finalement sur le roman lui-même, devenu social et collectif.

M. René Doumic, ici même, a caractérisé le roman collectif en disant qu’il emprunte au roman historique son cadre et sa matière. Mais son objet n’est plus de ressusciter de grands personnages, de nous faire pénétrer dans leur intimité, ni de nous montrer comment des êtres fictifs et individuels ont pu se comporter sous l’influence réelle d’un milieu exactement reconstitué. C’est, désormais, la collectivité elle-même, tout un ensemble d’êtres de semblable origine ou associés dans une existence commune, qui devient le véritable héros du roman. Ce genre, à la vérité original et neuf, répond à un besoin de notre imagination. Il ouvre devant elle un vaste champ inexploré et vierge encore ; il peut rendre au roman historique la vitalité et la fécondité, en y faisant pénétrer une psychologie jadis tout à fait négligée ou sacrifiée au décor.

La juxtaposition et la confusion des genres n’a pas épargné le roman social. Il suffit, pour s’en convaincre, de passer en revue la longue théorie des écrivains qui ont été en proie à l’inquiétude dont cette forme littéraire générale est la furtive expression. Théorie imposante et un peu bousculée, qui, pour prendre un exemple parmi les derniers venus, va de M. Léon Frapié, — lequel a exprimé dans la Maternelle, et de façon bien saisissante, les misères et les tares de l’enfance abandonnée, — jusqu’à M. Maurice Barrès, artiste de grande envergure, qui pourrait être réclamé tout à la fois par les romanciers d’histoire collective, les romanciers sociaux, les régionalistes et les tenans de la tradition !

Nous voici invités à faire immédiatement, parmi les nombreux écrivains d’imagination hantés d’une même préoccupation, un premier classement.

Ce groupe initial pourra réunir les romanciers qui se sont tout uniment imposé pour but de peindre dans leurs œuvres la