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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/172

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misère du peuple et l’infortune des prolétaires industriels ou agraires, d’interroger la vie des pauvres diables, et de tenter de l’adoucir, soit en montrant sous des couleurs désolées et terrifiantes les plaies dont ils souffrent, soit en proposant quelque remède pour les guérir. Parmi les tout premiers il y aurait lieu de nommer ici M. Edouard Rod.

Dans la plupart de ses romans récens, qui sont d’une inspiration singulièrement probe et vibrante, dans l’Eau courante comme dans l’Incendie, dans Un vainqueur comme dans l’Indocile, il a su joindre, à une grande fidélité de peinture et à la simplicité classique des moyens, une connaissance profonde de la vie morale contemporaine. Au cours des deux derniers, il a magistralement exposé le problème de la situation faite au capital par cette lutte sans merci que le travail a engagée contre lui. Certains passages d’Un vainqueur resteront comme des modèles de discussion lucide et honnête sur ce passionnant sujet. L’Indocile nous suggère une image fidèle du désarroi dans lequel se débat le malheureux que l’on prive systématiquement de toute croyance, pour la remplacer par la panacée illusoire d’un socialisme aussi tyrannique dans son esprit d’intolérance jacobine que ridicule dans ses moyens de crochetage et de mouchardise.

Ses romans qui appartiennent au genre des études sociales étaient fatalement exposés à présenter quelques-uns des défauts propres aux romans à thèse, — puisque l’auteur est acculé à prendre parti, — et nous les découvrons aisément, dans Un vainqueur ou dans l’Indocile, en dépit des efforts visibles pour éviter cet écueil. Mais la politique passionnée est étrangère à M. Rod. Sa mentalité n’est qu’un prolongement de la pitié dont nous avons vu naître les premières manifestations sous l’influence des grands écrivains russes : et cela seul donne à ses œuvres un caractère nettement social. Une solidarité fraternelle très éclairée, un grand dégoût des agitations malfaisantes dues aux politiciens, tels sont les sentimens qui dominent l’œuvre actuelle de l’auteur de l’Ombre descend sur la montagne, et c’est ce que nous trouverons à la base de son pessimisme attristé. Sans doute cherche-t-il à composer une synthèse impersonnelle et probe de la complexité des luttes qui — au milieu de la contradiction des théories — déchirent aujourd’hui la masse des producteurs et celle des travailleurs ; sans doute l’énigme des