Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quoique je n’eusse pas compris l’importance de la révélation. Mais M. Thiers s’étant éloigné, il me dit tout bas :

— Thiers est décidé. Il veut prendre Mme la duchesse de Berry ; s’il se bornait encore à forcer son départ, il aurait peut-être changé Saint-Aignan, mais il ne le remplacerait pas par Maurice Duval. Tenez-vous tranquille, il n’y a plus rien à faire.

A quelques jours de là, M. Thiers annonça que Marie-Caroline avait été manquée de peu d’instans dans un village. Deux de ses meilleures retraites étaient éventées de façon qu’elle n’y pût plus avoir recours, et elle était réduite à se cacher dans la ville. On savait le quartier, mais non pas encore la maison.

Enfin, un soir, lorsque, toutes les autres visites parties, il ne restait plus chez moi que M. Pasquier, l’amiral de Rigny et M. Thiers, celui-ci, qui semblait attendre ce moment avec impatience, nous dit d’un air triomphant : « Je tiens la duchesse de Berry ; avant trois jours, elle sera prise. » Voici le récit qu’il nous fit à la suite de cette communication.

Mme la duchesse de Berry prétendait, en commun avec le roi Guillaume de Hollande et dom Miguel de Portugal, négocier un emprunt dont tous trois seraient solidaires.

Un juif, nommé Deutz, ayant fait abjuration de sa foi sous le patronage de Madame la Dauphine, mais n’ayant pas, en quittant sa religion, renoncé aux habitudes mercantiles de sa caste, se trouvait l’agent très actif de ce projet d’emprunt. Il avait porté de l’une à l’autre les paroles des trois hautes parties contractantes, avait successivement visité Massa, la Haye et Lisbonne.

Peut-être même, je n’oserais l’affirmer, avait-il déjà rejoint « la Régente, » depuis son séjour en France. Quoi qu’il en soit, elle l’avait récemment expédié à dom Miguel.

Or, cet homme racontait avoir eu avec ce prince, et en présence d’envoyés confidentiels de Mme la duchesse de Berry, des conférences si alarmantes sur leurs projets ultérieurs et montrant une telle aberration d’esprit chez tous les deux, qu’épouvanté d’un pareil avenir, il s’était résolu à rompre toutes leurs trames.

En conséquence, il s’était présenté chez M. de Rayneval, notre ambassadeur à Madrid, et, à la suite de certaines révélations incomplètes, lui avait demandé un passeport, et une lettre pour