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le ministre de l’Intérieur, en lui confiant une liasse de papiers importans à faire parvenir à Paris.

M. de Rayneval ne pouvait refuser aucune de ces demandes : mais peu empressé, je crois, à se trouver môle dans cette trahison, il remit les dépêches à un secrétaire qui s’égara en route et n’arriva qu’après l’arrestation de la princesse. J’ai toujours pensé que ce n’était pas par hasard.

Je reviens au récit de M. Thiers. La lettre de M. de Rayneval était adressée à M. de Montalivet. Lorsque Deutz se présenta au ministère de l’Intérieur, on lui dit que M. de Montalivet ne s’y trouvait plus ; et lorsqu’il voulut remettre sa missive à M. de Montalivet, celui-ci, n’étant plus ministre, refusa de le recevoir pour mission secrète.

Deutz, ne doutant pas que les papiers, remis à l’ambassade de Madrid, ne dussent être parvenus, laissa son adresse et s’étonna bientôt de n’être pas appelé. Les jours s’écoulaient et il ne pouvait plus tarder à aller porter les réponses à la princesse qu’il avait médité de perdre. Mais il lui fallait préalablement recouvrer les documens nécessaires.

Une démarche, faite à ce sujet vis-à-vis d’un employé du cabinet ministériel, donna l’éveil à M. Thiers. Il fit venir Deutz ; celui-ci se comporta fort habilement, protestant de sa répugnance invincible à livrer la princesse. Il voulait, par philanthropie, traverser ses desseins, parce qu’il les croyait pernicieux ; à cela se bornerait son rôle.

Il se rendrait, si on voulait, auprès d’elle, et tiendrait le langage qu’on lui dicterait pour provoquer son départ ; mais sa personne lui serait toujours sacrée. Il rapportait les meilleures paroles de dom Miguel, les espérances les plus favorables du roi Guillaume. Il dissimulerait tout cela et découragerait Marie-Caroline de son entreprise, avant de s’embarquer lui-même pour l’Amérique, où il voulait aller ensevelir ses tristes secrets.

M. Thiers n’avait pas reçu les papiers de Madrid, il ne pouvait en apprécier l’importance. La conférence avec Deutz fut ajournée au lendemain, où l’éloquence du ministre réussit à convaincre le juif qu’il lui fallait livrer la duchesse de Berry « par amour de l’humanité. »

M. Thiers m’a protesté qu’aucun salaire n’avait été ni demandé, ni promis.

Une fois sa décision prise, Deutz lui-même avait signalé les