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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/271

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Je lui demandai si le bâtiment où on l’allait embarquer ne pourrait pas la conduire à Trieste, plutôt qu’à Blaye, en exigeant sa promesse de rejoindre le roi Charles X en Bohême.

— Ah ! ma bonne amie, vous pouvez penser si nous le désirons !… Mais ils ne veulent pas… ils disent que c’est impossible. On m’a fait promettre de ne me point ingérer dans cette affaire… tout le monde est contre moi !… Le Roi a dû à la fin consentir à l’arrestation et à la détention… Vous savez s’il s’y est longtemps refusé !… Ah ! si elle avait voulu profiter de ces six mois de patience où il était le maître, pour s’en aller… Je comprends bien l’impossibilité de la laisser en France, avec l’apparence d’y rester malgré le gouvernement… mais quelle rude extrémité !…

Et la pauvre Reine se reprenait à pleurer. Elle me confirma la volonté positive du Roi de s’opposera toute espèce de jugement et de se borner à une détention politique ; que la même raison politique pouvait modifier, prolonger ou abréger arbitrairement. Cela présentait déjà une série de difficultés, presque inextricables, dans un pays de discussion et de passion, comme le nôtre, où l’opposition se fait arme de tout.

J’étais destinée à voir le soir même une singulière péripétie. Les dépêches de Nantes avaient apporté les détails de l’arrestation. M. Thiers, impressionnable et mobile au suprême degré, ému des souffrances de la princesse, touché de son courage, frappé du ton de grandeur dont elle avait commandé autour d’elle, se trouva plein d’enthousiasme pour sa triste prisonnière.

Oubliant ses diatribes des jours précédens contre la femme désordonnée, contre la folle coupable qui, profitant de la calamité d’un fléau, avait voulu joindre les ravages du fer et du feu de la guerre civile à ceux du choléra pour désoler la France, il ne voyait plus dans Marie-Caroline que la fille des rois soumise à de nobles et poétiques malheurs, supportés avec constance, avec magnanimité :

— Convenons-en, messieurs, Mme de Boigne a raison, les personnes royales, comme elle dit, sont d’une sorte à part…

Lorsque Deutz avait été introduit chez Mme la duchesse de Berry, elle l’avait accueilli d’une bonté familière, qui avait dû sembler bien cruelle à ce misérable. Après avoir parlé de sa mission, lu et signé des papiers relatifs aux affaires pour lesquelles il s’entremettait, elle lui raconta avoir reçu avis qu’elle