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du professeur Clemens. Lorsqu’il nia l’opportunité de l’université libre, on sentit que cette opinion perdrait son poids si l’on prouvait qu’elle était le fruit de sa philosophie, et que cette philosophie était mauvaise. Un protestant converti qui enseignait à Fribourg, le baron de Schaezler, poursuivit contre Kuhn les assauts de Clemens ; on polémiqua longuement, et l’on finit par aboutira une dispute sur la grâce, dans laquelle Kuhn fut taxé de semi-pélagianisme[1]. Hefele, le futur évêque de Tubingue, s’emportait contre Schaezler, « premier inquisiteur de la Germanie ; » mais le directeur du séminaire de Rottenburg, où les clercs de Tubingue allaient avant la prêtrise parachever leur formation, passait pour seconder la campagne de Schaezler. Ketteler fut consulté par Rome : il allégua la bonne foi de Kuhn, les services rendus à l’Eglise par la faculté de Tubingue, le péril qu’il y avait à exciter les susceptibilités des savans allemands : lorsqu’on s’exaltait, à Munich, contre l’intolérance de l’école de Mayence, on ignorait apparemment cette généreuse démarche qui sauva Kuhn.

Les professeurs de Tubingue, à cette époque de troubles, avaient su profiter de l’effacement même de leur ville, qui leur offrait une sorte d’abri ; ils avaient évité de se compromettre dans les joutes acharnées entre Munich et Mayence ; on ne les avait pas vus paraître au Congrès des savans de 1863 ; ils ne s’étaient pas laissé englober dans les partis théologiques où ils auraient perdu beaucoup de leur personnalité et un peu de leur sécurité ; et malgré la difficulté des temps, ils avaient dignement aidé à vivre cette école de Tubingue qui sera bientôt centenaire, — belle lignée d’apologistes qui commence à Moehler pour arriver à Paul Schanz. Quel malheur pour l’Allemagne catholique si l’on eût inquiété cette université féconde !

Mais les suspicions mêmes élevées contre Kuhn avaient, de part et d’autre, dans le diocèse de Rottenburg, exalté les esprits. Le convict de Tubingue, où logeaient les futurs prêtres durant leurs années d’assiduité à la faculté, avait pour directeur un certain Ruckgaber, assez malveillant à l’endroit de Rome ; et deux répétiteurs qu’il taxait d’ultramontanisme et soupçonnait d’espionnage furent envoyés par l’évêque Lipp dans des cures. Le séminaire de Rottenburg, où passaient ensuite les clercs, était dirigé par le régent Mast et le sous-régent Hoefer, qui étaient

  1. Kuhn a été l’objet de deux articles de M. Godet dons les Annales de philosophie chrétienne, 1907.