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ou de dignités universitaires ; inversement, une faculté de théologie catholique trop déférente pour la hiérarchie courait le risque de perdre son crédit et d’être désormais traitée en intruse dans ces fières universités dédiées à la « libre science. » Rome savait cela ; elle savait aussi, par les discussions parlementaires, quelle était dans l’enseignement supérieur, même en des régions catholiques, la prépondérance de l’élément protestant.

De ces observations avait surgi le projet de fonder en Allemagne une université libre : ajourné en 1849, au congrès de Ratisbonne, à la suite de l’intervention de Doellinger, il avait triomphé, en 1862, au congrès d’Aix-la-Chapelle. Tout de suite Ketteler et le Vatican s’en étaient épris ; et Geissel, Ketteler, l’évêque Martin de Paderborn, avaient été chargés par Pie IX d’en assurer le succès. Quarante-cinq ans ont passé, et l’université libre est toujours à fonder. Toujours elle a ses partisans, tantôt sensibles à l’idée de protéger les jeunes étudians contre les souffles du dehors, tantôt séduits par le beau rêve de créer en Allemagne un grand centre intellectuel catholique ; mais toujours, aussi, elle a ses adversaires, qui estiment qu’en détournant vers une telle fondation l’élite des savans catholiques, on supprimerait de l’ensemble des universités toutes les influences religieuses qui ont pu s’y faire jour, et que, pour l’Eglise, une attitude de pénétration vaut mieux qu’une attitude d’isolement. Ce sont là questions de tactique, questions de tendance, aussi : on les résout différemment, suivant la conception qu’on se fait des rapports de l’Eglise avec le siècle ; et peut-être provoqueraient-elles d’âpres querelles, si les quêtes faites pour l’université libre n’avaient révélé la difficulté de trouver des fonds.

Mais entre 1862 et 1870, la ferveur des espérances, vierges encore de toute déception, se révoltait contre les réserves dont cette fondation pouvait être l’objet. Ne fallait-il pas chercher la cause de ces réserves dans un attachement exagéré aux droits de l’État et à l’autonomie de la science ? Kuhn, professeur à l’université de Tubingue, combattit dans un écrit, d’ailleurs très modéré, la création d’une université libre : tout de suite des soupçons s’élevèrent, et se condensèrent en nuages, qui planèrent et fondirent sur la pacifique université du Wurtemberg.

Kuhn savait peu la scolastique : Jacobi et Schelling lui étaient plus familiers que saint Thomas. Ses théories sur les rapports de la philosophie et de la théologie lui avaient valu les chicanes