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d’occupation du sol, grâce à sa possession de la grande entrée européenne du Canada, les bouches maritimes du Saint-Laurent, grâce à ses qualités bien françaises de persévérance au travail, de sociabilité, de vivacité, de gaieté, enfin, il faut rajouter, grâce au charme propre de son homme d’État, sir Wilfrid Laurier, qui, bien que membre de la minorité ethnique, dirige depuis douze ans, avec une si sereine autorité, le gouvernement de ce peuple à deux têtes. Néanmoins, les Canadiens-Français doivent se surveiller de près, s’ils veulent conserver les droits qu’ils ont conquis de haute lutte depuis cent cinquante ans, et dont ils sont très légitimement fiers. L’émigration considérable, qui se fait actuellement au Canada, est-elle de nature à les alarmer ?

Les chiffres vont se charger de nous répondre, car là-bas, — tendance américaine sans doute, — tout se mesure, se jauge, se pèse et se compte. Le gouvernement est prodigue de statistiques en tous genres, que l’on excelle à vulgariser par les moyens les plus ingénieux, tantôt en les reportant sur des cartes île géographie, comme dans le bel Atlas récent de M. James White[1], tantôt en les étalant aux yeux sous forme d’échelles progressives et de ballots multicolores d’épaisseurs proportionnelles aux chiffres.

Les nombres officiels nous apprennent donc que, depuis dix ans, de 1897 à 1906, le Canada a reçu 311 000 Anglais et 280 000 Américains des États-Unis, soit, en chiffres ronds, 600 000 Anglo-Saxons pour… 14 000 émigrans de France et de Belgique. Déjà réduite à 30 p. 100, la minorité « française, » dans cet afflux considérable qui vient ainsi compléter rapidement le Canada, ne se voit plus représenter que par 2 pour 100. On voit que le péril est loin d’être imaginaire.

Il ne serait pas encore bien grave si la population indigène pouvait, par son propre chiffre, résister longtemps à ces arrivages si disproportionnés. Mais la réalité est tout opposée, et, dans très peu d’années, si le mouvement « nationaliste » de l’Est ne reçoit point satisfaction, c’en est fait des Canadiens-Français, qui auront héroïquement lutté pendant un siècle et demi et, groupés autour de leurs prêtres, victorieusement survécu à l’invasion anglaise, à l’oppression anglaise, à l’infiltration anglaise des fonctionnaires et des commerçans, pour disparaître, sans rémission, dans les premières années du XXe siècle,

  1. Atlas of Canada, 1906.