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O Nature, semblable à ceux que tu secondes,
J’aurai lancé le grain des paroles fécondes,
Et peut-être, tel un semeur qui, dans le soir,
A l’abri du foyer sacré revient s’asseoir,
Verrai-je aussi plus tard, débordantes de sève,
La plaine qui tressaille et la moisson qui lève.


LA VIGNE EN LARMES


Mars, bien que rude encore, a des rayons subtils
Qui grisent lentement comme un premier sourire,
Et tout ce que l’hiver semble heureux de proscrire
Revient de longs sommeils ou de mornes exils.

Quelque vernal et tiède effluve nous convie
Et, par les clairs vergers, où déjà nous songeons,
Un souffle hâte, avant qu’éclatent les bourgeons,
La résurrection suave de la vie.

Alors le vigneron, taillant les ceps tortus,
Tranche les noirs sarmens qu’a dépouillés l’automne,
Pour qu’un nouveau printemps de pampres neufs festonne
Ce bois noueux dont nul n’égale les vertus ;

Et, plus gai de sentir la Nature meilleure,
Voyant, lui que la glèbe a sans trêve nourri,
Suinter un peu de sève où le cep fut meurtri,
Le rustique ouvrier dit que la vigne pleure.

Mais il sait que ces pleurs d’un jour ne sont pas vains,
Et que bientôt, non loin de la fraîche blessure,
Des grappes écloront pour la vendange sûre,
Dont le pressoir fera jaillir l’ambre des vins.

Pour que, plus tard, l’amour promis, dans la lumière
Croisse comme la grappe et, saintement pareil,
Soit doré par le plus adorable soleil,
Ne maudis pas la main qui te blesse, âme fière.