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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/458

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pas d’analyser, la partition de M. Gabriel Pierné, tandis que nous regardions défiler la série des décors tantôt lumineux et tantôt vaporeux, nous songions quelle est la merveille de ce style de M. Loti qui, rien qu’avec des mots, avec les mois les plus simples et les moins rares, égale les prestiges de la musique et de la peinture, et nous ouvre sans effort les pays illimités du rêve.

M. Alexandre (Ramuntcho), Mlle Sylvie (Gracieuse) n’ont pas été inférieurs à leurs rôles ; mais leur succès a été un peu éclipsé par celui des pelotaris engagés spécialement et des cent musiciens de l’orchestre.


Nous avons attendu pour parler du Grand Soir que le succès s’en fût établi et prolongé. Car l’intérêt en est, non du tout dans la pièce elle-même, mais dans l’accueil qui lui est fait. L’ouvrage russe traduit par M. Robert d’Humières se compose de trois tableaux d’un réalisme photographique, et, comme on eût dit naguère, de trois tranches de vie. Nous sommes chez les anarchistes. Au premier acte un logement où s’impriment des placards révolutionnaires ; les excellentes gens s’énervent au bruit que fait la presse à main et qui peut s’entendre de l’étage inférieur ; ils tremblent à chaque coup de sonnette. Si c’était la police ! C’est elle en effet ; la voici qui envahit la pièce, confisque les feuilles, brise la presse, emmène en prison tout ce qu’elle trouve d’hommes et de femmes. Au second acte, délibération entre frères et amis ; on se partage la besogne ; chacun choisit son poste de combat et de dévouement à la Cause. Cependant s’élève et grandit une grave mélopée ; le peuple se livre à une manifestation pacifique et grandiose. Un crépitement de coups de fusil. C’est l’autorité qui intervient. Vainement ! Les chants reprennent aussi calmes, aussi religieux, lorsque de nouvelles décharges mettent les grévistes en déroute : la manifestation est dispersée à coups de feu, noyée dans le sang. Au troisième acte, nous sommes dans un salon donnant sur la rue où va passer la voiture du gouverneur ; derrière la fenêtre de ce salon va s’allumer le flambeau qui donnera à un homme posté en face, de l’autre côté de la rue, le signal de jeter une bombe. L’explosion se produit en effet, et en temps utile ; et nous avons tout lieu de croire que le résultat en est tel qu’on l’espère sur la scène, — et qu’on le souhaite dans la salle.

Bien entendu, à travers cette action circule un couple d’amoureux : Annia et Vasili éprouvent l’un pour l’autre même tendresse ; ils n’avaient pour vivre heureux qu’à se laisser vivre ; mais ils se