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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/459

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doivent à leur mission. C’est la jeune fille qui donnera le signal de l’attentat, c’est le jeune homme qui jettera la bombe. Ils sont éminemment les personnages sympathiques. Idylle et assassinat. Amour et nitroglycérine. Ce sont trois tableaux d’un art sommaire. On n’imagine pas une exhibition plus pénible. On la subit comme une courbature. On sent passer le frisson de la petite mort.

C’est celui même qu’on était venu chercher. Car nous sommes avides des émotions malsaines : nous les recherchons, et on nous en prive ! Impossible d’assister à une exécution capitale, depuis que la peine de mort est réellement supprimée. Nous avons bien les faits divers et les journaux qui nous renseignent abondamment sur les exploits des apaches et sur les « crimes politiques. » Mais, au lieu d’en lire le récit, y assister ! Entrer dans les officines où s’organise la propagande par le fait. Et savoir que ce ne sont pas là des histoires de brigands inventées et combinées pour faire peur, que tout cela est réel, authentique, exact, s’est passé hier et pourra se passer demain, que nous voyons se préparer sous nos yeux de vrais crimes, ceux mêmes qui jettent à nos idées d’humanité et de civilisation les plus atroces démentis, voilà le plaisir !

Il va sans dire que notre compassion ou notre admiration ne saurait s’égarer. Les policiers, nous les avons vus, au premier acte, envahir le domicile de nos amis les révolutionnaires, sans aucun souci de l’inviolabilité du home : ce sont des brutes. Les soldats, nous les avons entendus, au second acte, fusiller la foule inoffensive : ce sont des bourreaux. Les bourgeois, il y en a un, au troisième acte, qui débite les maximes de son égoïsme repu : ce sont d’infâmes jouisseurs. Mais chez les apôtres de l’évangile nouveau, chez les défenseurs de la Cause et les martyrs de l’Idée, quelle noblesse, quelle pureté, quelle sublimité ! Chez eux et non pas ailleurs se sont réfugiées toutes les vertus. Aussi, comme on les plaint et comme on les applaudit ! On goûte, sans mélange, cette joie d’entendre traiter les gendarmes d’assassins et les assassins de héros !

Tel est ce « spectacle dans la salle, » si curieux, et qui porte si éloquemment témoignage pour notre déliquescence. Notez-le bien en effet : ce public de qui cent représentations n’ont pas épuisé l’enthousiasme est un public infiniment distingué : c’est un public de salon, composé des personnes les mieux rentées ; nous n’en avons pas qui soit de qualité supérieure. Il est instruit et il sait son histoire : il appartient lui-même à l’histoire, qui est une éternelle recommenceuse ; et sous d’autres noms, en d’autres temps, il a déjà accueilli avec la