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part, je changeai de matière, ayant résolu de voir si mon homme s’entendait aussi bien à manier le glaive de la controverse que celui de la guerre. Je lui dis donc qui j’étais, et lui demandai son opinion sur notre foi protestante. Il parut, d’abord, hésiter à me répondre : « Attendez, Monsieur, il faut que je réfléchisse un peu ! » Mais une minute ne s’était point passée que, déjà, il frappait sur la cloison qui nous séparait. « Eh bien ! Monsieur, j’ai réfléchi ! » Et, là-dessus, il aborda le sujet, qu’il discuta avec beaucoup de bon sens et de verve, parfois en latin, parfois en français ; et, encore qu’il soutint son argument de la façon la plus énergique et la plus inflexible, il y déploya une libéralité de sentiment et un véritable esprit chrétien qui m’attachèrent à lui très sincèrement. Je lui demandai ce qu’il pensait de la possibilité du salut pour les protestans. « Écoutez-moi ! répondit-il. Je pense que ceux qui savent que la religion catholique est la vraie religion, et qui cependant ne la pratiquent pas, seront damnés ; mais pour ceux qui ne pensent pas comme nous, oh ! non, Señor, ne le croyez pas ! Oh ! mon Dieu ! non, non, jamais, jamais ! » Pour le tâter sur un autre terrain, je lui dis : « Etes-vous absolument certain qu’un prêtre ne puisse pas se marier ? Car, enfin, vous vous rappelez que saint Pierre était marié ! — « Oui, c’est vrai, répliqua-t-il : mais, du moment où il suivit Notre Seigneur, on n’entend plus jamais parler de sa femme ! » Nous procédâmes de là à divers autres thèmes, et notamment à la question de savoir s’il convient de renoncer à une religion où l’on croit découvrir des opinions erronées. « Monsieur, dit-il, écoutez ! Est-il possible qu’une religion soit bonne quand elle dérive d’un principe mauvais ? Or, les Anglais étaient, autrefois, de bons catholiques : le divorce d’un roi capricieux fut la première cause de leur changement. Ah ! cela n’était pas bon… »

Enfin, au moment où nous allions nous séparer, il se tourna vers moi : « Monsieur, j’espère que je ne vous ai pas fâché ! Si je me suis exprimé trop fortement devant vous, qui m’avez rendu un si grand service, il faut me pardonner ; mais c’est que je pensais que c’était mon devoir ! »


« Il m’a entretenu et intéressé sur tout le chemin, — écrit encore Stanley, — jusqu’à Metz, où, bien contre ma volonté, nous nous sommes dit adieu : car, si même il avait désiré aller jusqu’au bout de mon propre voyage, j’aurais été ravi de lui offrir un siège dans ma voiture. » Le fait est qu’il venait de rencontrer là une « espèce d’homme » assez sympathique, avec ce « véritable esprit chrétien, » et cette égale adresse, mêlée de simplicité, à « manier le glaive de la controverse et celui de la guerre. » Et sans cesse, au cours de son exploration, d’autres figures de Français se sont présentées à lui, qu’il a été forcé de trouver parfaitement aimables : mais sans cesse aussi, derrière elles, il apercevait la figure, le spectre, du « Français, » ce personnage fictif, mais d’autant plus effrayant et odieux, qui, depuis vingt ans surtout, hantait la brûlante imagination de ses compatriotes.

Il y aurait, pareillement, à signaler bien des passages curieux dans