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Fred Douglas écrit que Buonaparte ne ressemble absolument à aucun de ses portraits gravés. C’est un gros homme, avec une taille épaisse qui le fait paraître court. Ses traits sont plutôt durs, et ses yeux assez ternes : mais sa bouche, quand il sourit, s’anime d’une expression très douce et très bienveillante. Au premier abord, on a l’impression de se trouver en face d’où homme tout à fait ordinaire, au moins d’apparence : mais à mesure qu’on l’observe et que l’on cause avec lui, on s’aperçoit que son visage est rempli de profonde pensée et de résolution.


Napoléon, entre autres choses, a expliqué à son interlocuteur que « la France ne pourrait jamais s’accommoder de la constitution anglaise, faute de posséder ces nobles de campagne qui sont un des élémens principaux de la vie politique du Royaume-Uni. » Il était d’avis que la paix de l’Europe ne pourrait pas durer, et que « la nation française ne se résignerait pas à abandonner la Belgique. » Quant à lui, « il aurait consenti à tout céder, excepté cela. » Il affirmait aussi que son plus grand regret était de n’avoir pas pu « établir la Pologne en royaume indépendant : car il avait toujours beaucoup aimé les Polonais, et leur avait eu de très grandes obligations. » Paroles où se retrouvait, peut-être, un écho de la visite que venait de faire, au souverain de l’île d’Elbe, une dame polonaise aussi patriote que belle. Et j’imagine qu’Edward Stanley, on lisant cette lettre, où le neveu de lord Sheffield rendait hommage à l’évidente supériorité intellectuelle et morale de « Buonaparte, » aura haussé les épaules avec le même mélange d’incrédulité et d’agacement dont il écoutait, naguère, ces « stupides » soldats de la Grande Armée qui, ruinés par la chute de leur Empereur, s’obstinaient cependant à le tenir pour un bon général.


T. DE WYZEWA.