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mettre à l’abri de nouvelles vicissitudes du sort, et c’est à sa sagesse que nous devons l’acquisition qu’il fit à cette époque des terres considérables que nous possédons encore maintenant en Silésie et qui, plus tard, ont [offert à mon père un honorable asile.

Mon grand-père eut trois enfans : Pierre, qui lui succéda[1], Charles[2], et une fille qui se nommait Hedwige. J’avais si peu entendu parler d’elle, qu’il y a quatre ans seulement que j’appris, par une jeune dame russe qui me priait de la mener dans le monde parce que j’étais, disait-elle, sa cousine, que la sœur de mon père avait épousé un Russe, nommé le prince Cherkassof… Mon père s’est marié trois fois ; veuf de la fille du prince Yousoupoff, divorcé de la princesse de Waldeck, il n’eut d’enfans que de sa troisième femme[3]. Sept siècles d’une noblesse illustre, une figure charmante et une réputation de bonté établie dès l’enfance distinguaient ma mère et, si on avait dû supposer à mon père l’intention de chercher une alliance avec quelque maison souveraine, les grâces de la jeune Courlandaise et la considération dont jouissait la famille firent cesser toute surprise et le choix qu’il avait fait fut généralement approuvé. Une très grande différence d’âge, — car ma mère épousa à dix-neuf ans un homme qui en avait plus de cinquante, — ne nuisit en rien, si ce n’est au bonheur, du moins à la convenance de cette union, qui dura vingt années. Mon père avait été dans sa jeunesse d’une figure agréable ; il avait conservé une tournure élégante ; ses manières étaient nobles : grand chasseur, grand homme de cheval, adroit à toute sorte d’exercices, d’une santé parfaite, il ne sentit les infirmités d’un âge avancé que dans sa dernière maladie…

Ses mœurs étaient douces. Il aimait les arts et les encourageait ; il a laissé à cet égard, en Italie, où il fit un assez long séjour[4], une réputation de bon goût naturel que l’on s’étonnait

  1. Le duc Pierre naquit en 1724. En 1769, son père abdiqua en sa faveur. A la mort de l’ex-régent, il hérita de la Courlande, qu’il gouverna jusqu’en 1795, date à laquelle il abdiqua à son tour.
  2. Né en 1728, mort en 1801 à Kœnigsberg. Le prince Charles a fait souche de la ligne des princes actuels de Courlande.
  3. Le duc Pierre épousa en 1765 Caroline-Louise, princesse de Waldeck, d’avec laquelle il divorça en 1772. En 1774, il épousa Eudoxie, princesse Jessupof, dont il se sépara en 1778 ; en 1779, Anne-Dorothée de Médem, comtesse du Saint-Empire (1761-1821).
  4. Le duc, accompagné de sa femme et de sa fille aînée, partit pour l’Italie le 6 août 1784. Il passa l’hiver à Naples, vint à Rome pour les cérémonies de Pâques et retourna à Naples et à Ischia passer le printemps de 1785. A Rome, le duc fit frapper une médaille pour commémorer le dixième anniversaire de l’Académie qu’il avait fondée à Milan. A Bologne, il fonda un prix de 1 000 ducats que l’Académie des sciences devait décerner sous forme de médaille.