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Mlle Hoffmann était Allemande ; elle avait dans sa première jeunesse dû épouser un Français qu’elle avait connu à Mannheim et qu’elle suivit à Paris. Au moment de se marier, le jeune homme mourut. Dans sa profonde douleur, elle se persuada que la religion catholique lui offrait plus de consolations que la religion protestante ; elle abjura et se retira dans un couvent avec l’intention de se consacrer uniquement à Dieu. Mais, peu de jours avant sa prise d’habit, elle se dégoûte subitement de la catholicité et de la vocation religieuse, quitte le couvent, la ville, le pays, et arrive je ne sais trop comment en Pologne où elle devient gouvernante de Mlle Christine Potocka. Bientôt après, les prisons de Russie s’étant ouvertes pour cette jeune personne qui voulut y suivre son père, Mlle Hoffmann, séparée de son élève, accepta avec plaisir la proposition qui lui fut faite de s’occuper de moi. Sa manière d’enseigner était heureuse, ses sentimens étaient généreux et son caractère élevé, mais avec plus d’imagination que d’esprit, plus de savoir que de discernement, plus d’emportement que de volonté, avec un cœur ardent, une humeur inégale et impérieuse, elle paraissait plus appelée à donner une éducation brillante qu’une raisonnable.

Malgré les inconvéniens réels et multiples qui résultaient pour moi du caractère de mes entours et de leurs divisions, inconvéniens que je sentais peu alors, mais dont j’éprouve encore aujourd’hui les suites, je me trouvais fort heureuse comparativement aux années précédentes.

Mlle Hoffmann, passionnée pour l’Émile, me faisait en grande partie suivre le régime sanitaire indiqué dans cet ouvrage[1], il me réussit assez bien : je repris bientôt des forces et des couleurs, et je suis convaincue qu’à sept ans comme dans tout le cours de ma vie, je n’ai jamais été malade que de contrariétés. On me donna des maîtres d’agrémens, j’en faisais peu de cas et je ne cherchais guère à profiter de leurs leçons. Aussi, suis-je arrivée à danser en mesure, les pieds en dehors, sans avoir jamais appris un seul pas. J’aime beaucoup la bonne musique, je crois la sentir, mais je dois les impressions qu’elle produit sur moi âmes nerfs et à mon organisation plutôt qu’à ma science dans cet art, car mon maître de musique était, de tous mes maîtres, celui qui se plaignait le plus de mon inattention et de

  1. Voyez Appendice IV.