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Mon éducation religieuse était nulle ; je ne faisais point de prières, car je n’en savais pas. Je n’avais été qu’une fois à l’église, un jour que le prédicateur était fort mauvais. La simplicité des temples protestans n’avait rien qui pût occuper mes regards, et, après m’être endormie au sermon, je déclarai ne vouloir plus y retourner. Ni Mlle Hoffmann, qui, après avoir eu deux religions, était restée sans en professer aucune, quoiqu’elle ne fût pas cependant tout à fait incrédule, ni l’abbé, qui croyait que Condillac et les idées métaphysiques étaient des guides plus sûrs que l’Evangile, ne me contrariaient sur mon dégoût pour l’office divin.

Voilà bien exactement et trop longuement sans doute ce que j’étais à douze ans. Mon éducation fut trop bizarre pour que je ne reporte pas sur elle les fautes trop nombreuses de ma jeunesse. Je ne suis pas fâchée de bien faire connaître les excuses, car je sens que bientôt je vais avoir besoin de les faire valoir.

C’est dans ce temps que j’entendis parler pour la première fois d’un procès considérable que nous avions, mes sœurs et moi, en Russie contre mes cousins qui nous disputaient une partie des sommes accordées à mon père en indemnité de la Courlande. Quoique l’espèce de transaction faite avec mon père fût déjà ancienne, les stipulations qu’elle contenait n’étaient point exécutées ; nous n’avions rien reçu. Prouver que nous avions seules droit à cet argent et le retirer promptement d’un pays où la propriété n’est guère plus en sûreté lorsqu’elle est reconnue que quand elle est contestée, était d’un intérêt immense pour nous. M. de Gœckingk, conseiller intime au service du roi de Prusse et l’un de mes tuteurs, partit pour Pétersbourg comme fondé de nos pouvoirs : mais ne sachant pas le russe, et parlant très mal le français, il désira se faire accompagner de quelqu’un qui pût suppléer à ce qui lui manquait. L’abbé Piattoli lui parut ce qu’il y avait de mieux pour l’aider dans sa mission. Celui-ci, quoique peiné de me quitter, était cependant si fatigué des scènes continuelles de Mlle Hoffmann, qu’il n’hésita pas à donner à ma famille, en entreprenant ce pénible voyage, une nouvelle preuve de son dévouement.

Les personnes assez malencontreuses pour avoir des affaires