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en Russie savent qu’il est possible d’y user une vie tout entière à la défense de ses intérêts, sans obtenir, je ne dis pas justice, mais une solution quelconque. Pénétré de cette triste vérité, le pauvre abbé me quitta les larmes aux yeux, sentant bien qu’il se séparait de moi pour longtemps et qu’il me quittait précisément à l’âge où sa surveillance et ses conseils devraient le plus contribuer à donner à mon esprit et à ma raison la direction qu’il aurait voulu leur imprimer.

La présence de M. Piattoli contrariait Mlle Hoffmann ; elle se sentit allégée par son départ, et ne garda plus de mesure ni dans l’encens qu’elle me prodiguait, ni dans l’éloignement où sa jalouse affection me tenait de ma mère. Aimant assez la société lorsqu’elle y tenait une place première, elle s’en composa une qu’elle réunissait chez moi et dans laquelle elle me menait souvent ; mais ce n’était pas une société où par mon rang je fusse naturellement placée : des artistes, quelques hommes de lettres, des familles de négocians trouvaient que j’avais une fort bonne maison ; et ils avaient raison : le revenu considérable confié à Mlle Hoffmann pour mon éducation la rendait en effet fort agréable. Ma mère ne quittait guère sa sphère élevée et brillante pour trouver chez moi des personnes avec lesquelles elle n’avait aucun rapport, et lorsqu’elle voulait que j’allasse dîner ou souper chez elle, Mlle Hoffmann élevait des difficultés, prétendant que les distractions du grand monde portaient du trouble dans mes études. Je n’avais garde de la contredire : je me trouvais si bien dans le petit cercle dont elle m’avait entourée. J’y étais toujours, et à une grande distance, la première ; on me flattait, on me gâtait. Il était très simple que j’aimasse mieux rester chez moi et mettre à contribution les talens et l’empressement de tous ceux qui m’environnaient que d’être en petite fille dans un coin du salon de ma mère, avec une gouvernante dont le maintien était aussi gêné que le mien ennuyé. Je n’avais de relations analogues à mon âge et à ma position qu’avec les enfans de la princesse Louise[1]et avec ceux de la Reine ; car il n’y avait pas

  1. Sœur du prince Louis-Ferdinand, mariée en 1796 au prince Antoine Radziwill, duc d’Odyke et de Nieswiez. Elle mourut en 1836. Elle était la marraine de la princesse Dorothée et c’est sous les auspices de ce souvenir que fut conclu à Sagan, en 1857, le mariage de Mlle Marie de Castellane, petite-fille et filleule de la duchesse de Sagan, avec le petit-fils de la princesse Louise de Prusse, le prince Antoine Radziwill.