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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/595

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se servit, — et il me demanda s’ils y résisteraient toujours. Je lui répondis que je le craignais, et comme je n’eus pas de peine à voir que la réponse lui déplaisait, je me hâtai de dire que je ne parlais que de ses « directions politiques, » mais qu’au contraire, en France, comme ailleurs, il n’y avait qu’une opinion sur ses « directions sociales, » et ce fut une occasion de parler de l’Encyclique Rerum novarum. Il me demanda ce que je pensais ou je savais de l’impression qu’elle avait faite sur la jeunesse, et presque aussitôt, sans me laisser le temps de répondre, si je pouvais lui donner quelques renseignemens sur l’état d’esprit de la jeunesse française. Enfin, il m’interrogea sur la Revue des Deux Mondes, et à ce propos, ce fut par des considérations sur le bien ou le mal dont la presse était capable que se termina l’audience… J’avais compris qu’il aimerait qu’un écho de sa conversation lui revînt.

Rien ne pouvait m’être plus agréable, une fois de retour à Paris, que de satisfaire un désir dont l’expression m’honorait, et qui répondait d’ailleurs au besoin que j’éprouvais moi-même de m’expliquer sur des questions qui me préoccupaient depuis une dizaine d’années. « Et vous, m’avait-on un jour demandé dans une réunion assez nombreuse, où chacun venait d’exprimer son opinion, que pensez-vous du christianisme ? » J’avais répondu, ou à peu près, « que je ne connaissais pas encore assez la question pour répondre d’une manière précise, mais que je l’étudiais ; » et cette réponse avait beaucoup amusé. Ce n’était pourtant pas ce qu’on appelle une échappatoire, et il était vrai, — c’était aux environs de 1889, — que je refaisais mon éducation religieuse. J’admire toujours, sans leur porter envie, ceux qui ont une opinion sur le christianisme, sans l’avoir étudié. Pour moi, comme presque tous les jeunes « intellectuels » de ma génération, je connaissais beaucoup mieux, et j’avais bien plus étudié le bouddhisme…


C’est en ces termes que Ferdinand Brunetière, dans une note restée inédite, indiquait la nature, les conditions et l’objet de l’entretien qu’il eut avec Léon XIII. On sait le reste : l’article retentissant qui en fut la suite, les polémiques qu’il souleva, les contradictions, approbations, répliques et contre-répliques qui s’entre-choquèrent à ce sujet. « Je ne m’attendais guère, — écrivait l’auteur en réimprimant trois mois après son article en brochure, — je ne m’attendais guère qu’il dût provoquer tant de bruit. »

Il disait vrai ; et son étonnement peut surprendre, mais je crois qu’il était profondément sincère. Calculons-nous toujours la vraie portée de nos paroles, de nos articles ou de nos livres ? Savons-nous quel écho telle page, pour nous toute simple, que nous avons écrite, peut trouver dans telle ou toile conscience obscurément préparée à l’accueillir ? Renan lui-même se doutait-il, en écrivant la Vie de Jésus, de l’action qu’il allait avoir sur près