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maintenant son état d’esprit. Il a cherché à le faire, et il y a manifestement échoué.


Et je n’en suis pas absolument sûr, — disait-il plus tard dans une lettre dont j’ai déjà cité quelques lignes, — on n’est jamais absolument sûr de la chronologie de ce travail intérieur, mais, précisément, il me semble que c’est le Congrès des Religions qui m’a désabusé d’abord, et obligé de procéder à un nouvel examen de conscience… Je ne crois plus à la possibilité d’une morale purement laïque, et je n’y crois plus pour y avoir cru plus fermement que d’autres, dont je n’ai garde aujourd’hui de suspecter la bonne foi, mais sur lesquels je revendique une supériorité, qui est celle d’avoir trois fois remis le problème à l’étude, et de l’y avoir remis dans des conditions d’absolu désintéressement[1]


C’est ici le nœud véritable de cette évolution morale, de cette crise d’âme ; c’est ce qui en fait l’intérêt symbolique et presque dramatique. Voilà un homme qui, comme tant d’autres de ses contemporains, a cru pendant longtemps pouvoir fonder une morale, — une morale non pas seulement individuelle, mais sociale, — sur des idées philosophiques ou des constatations positives, et qui, un jour, s’aperçoit que ce fondement croule. Saisi de stupeur et d’inquiétude, incapable de dilettantisme ou de scepticisme moral, passionnément épris d’action, il cherche alors autre chose. Il sent vaguement qu’en dehors de l’idée religieuse, il n’y a pas de fondement solide à la morale ; et même, qu’en dehors du christianisme, il n’y a point, pour une âme moderne, de religion véritable. Convaincu d’ailleurs que, selon le mot de Renan, le catholicisme est « la plus caractérisée, et la plus religieuse de toutes les religions, » c’est alors qu’il se retourne vers Rome. Son entretien avec Léon XIII confirme ces pressentimens. De sa visite au Vatican, il a emporté comme la vivante vision de cette autorité morale qu’il cherche, de ce pouvoir spirituel qu’il désire, de cette révélation mystique dont il a besoin. Et sans doute il prend alors l’engagement avec lui-même de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour faire tomber les derniers obstacles ou les dernières objections intimes qui l’écartent encore de cette croyance qu’il veut conquérir…

Il a bien tenu sa promesse ; et d’ailleurs, si besoin en était, il y eût été bien encouragé par les contradictions, les aigres critiques, — elles ne lui vinrent pas toujours des adversaires, — et

  1. Lettre inédite du 16 septembre 1898.