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pour écrire cette classique Histoire de la littérature française, dont la beauté d’ordonnance et la rare perfection de forme ont découragé ceux-là mêmes qui, sentant bien qu’il y manque quelque chose, eussent été tentés de la recommencer. » Et à quatorze ans de là, en 1897, dans la Préface de son Manuel, il n’osait encore, nous l’avons vu, « promettre » au public de lui donner cette Histoire. Il s’y décida enfin, et, en 1900, quelques fragmens de l’œuvre projetée paraissaient ici même. Mais il eut soin de limiter son effort, et ce fut, non pas une Histoire générale de la littérature française qu’il annonça, mais simplement une Histoire de la littérature française classique. Il estimait du reste, et non sans raison, que la littérature du moyen âge, la littérature classique, et la littérature moderne, « dont le romantisme a livré la première bataille, » formaient bien trois littératures successives et différentes « dont l’unité de langue fait l’unique liaison. » Et, dans ces conditions, il était très naturel qu’il s’appliquât à celle de ces trois littératures qu’il connaissait le mieux, et dont, aussi bien, l’évolution était complètement achevée.

Cette grande Histoire devait comprendre cinq gros volumes. Le premier n’a même pas été achevé. Deux fascicules sur trois ont été publiés par l’auteur lui-même : il travaillait au troisième quand il mourut. Il faut souhaiter qu’on nous donne, sous une forme ou sous une autre, la suite et la fin de cette Histoire, dont chacune des parties a été professée à l’École normale[1]. » Telle qu’elle est aujourd’hui, dans son état d’inachèvement et presque d’ébauche, elle s’impose à l’attention et à la critique ; et je sais des amis de la pensée de Ferdinand Brunetière qui, de toutes les œuvres qu’il avait entreprises, regrettent surtout cette dernière.

En composant son Manuel, Brunetière songeait à rivaliser avec le Bossuet du Discours sur l’Histoire universelle ; en écrivant son Histoire, le modèle qu’il avait en vue, c’est l’Histoire des Variations. Ce qu’il admirait particulièrement dans ce livre

  1. Le meilleur moyen qu’il y aurait de réaliser ce vœu serait sans doute, à l’aide des notes du professeur et des élèves, de restituer purement et simplement le cours, tel qu’il a été professé. Assurément, cette restitution ne vaudra pas la rédaction définitive : car Brunetière, très difficile pour lui-même, se corrigeait et améliorait son texte jusqu’au dernier moment, — par exemple, le Rabelais publié dans la Revue a été refait pour le volume ; — mais enfin, nous aurions au moins là un certain état de sa pensée. L’un des meilleurs élèves de Ferdinand Brunetière. M. Gustave Michaut, s’est chargé de compléter et d’achever le volume consacré au XVIe siècle ; et c’est ainsi, nous le savons, qu’il a compris sa tâche.