Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/618

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des parties de cette histoire de la littérature française au XVIe siècle, trois amples études, trois grands « portraits littéraires, » celui de Rabelais, celui de Ronsard, celui de Montaigne. Les deux premiers seuls ont été achevés. Ce sont d’admirables pages de critique littéraire. L’historien n’a qu’une chose en vue : définir avec la dernière précision, caractériser avec toute la justesse possible l’œuvre et le génie qu’il met, après tant d’autres, sous nos yeux. Comme un peintre qui, les yeux obstinément fixés sur son modèle, met en œuvre tous les procédés connus et ne croit jamais avoir assez fait pour attraper la ressemblance intérieure qu’il veut fixer sur la toile, ainsi Brunetière a recours à tous les moyens dont dispose actuellement la critique pour mieux comprendre le vrai sens d’une œuvre et pour en mieux mesurer la vraie valeur : biographie, bibliographie, chronologie, philologie même, toutes les « sciences auxiliaires » de l’histoire littéraire sont tour à tour utilisées et fournissent leur contribution et leur apport. Et cela, sans préjudice de l’analyse littéraire, psychologique ou morale, et de tout ce que le contact direct et prolongé des textes peut déterminer d’impressions vives et d’intuitions originales dans un esprit délié, vibrant, extraordinairement muni et averti. Tous ces élémens divers et toutes ces données mêlés ensemble sont comme des rayons divergens que rassemble un réflecteur puissant et qui, projetés par lui sur certaines figures, les éclaire d’une forte et soudaine lumière. Je sais, par exemple, peu d’études qui nous fassent aussi profondément pénétrer dans l’intimité d’une œuvre et d’un génie d’écrivain que le chapitre sur Rabelais. Ces pages sont mieux qu’une explication et qu’une interprétation : elles sont une évocation. On dirait que la verve endiablée du vieux conteur s’est communiquée à son critique. Le frémissement de cette poésie un peu brutale, mais si drue, si opulente, l’a gagné sans presque s’en apercevoir, il la transpose dans sa langue à lui. Jamais peut-être il n’a écrit d’un style aussi éclatant, aussi vivant, aussi joyeux. Sa manière forte, et grasse, et haute en couleur, rappelle ici certains portraits de l’école flamande où semble avoir passé toute la vie débordante de leurs modèles :


D’autres que Rabelais ont sans doute aimé la nature, mais on peut, on doit dire de lui qu’il en est littéralement « ivre, » et pour la célébrer, son lyrisme n’a pas assez d’effusions, ni d’assez éloquentes, ni d’assez abondantes, ni d’assez débordantes. Il se noie, il se perd, il s’égare quand il