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idées essentielles qu’elle a répandues dans le monde, et, comme il aimait à dire, de vider le mot de tout son contenu. Rien de plus original, et, je crois, de plus juste que la manière dont il a posé la question. Il distingue trois époques dans l’histoire de la Renaissance, ou, plus exactement encore, trois Renaissances successives : la Renaissance italienne, la Renaissance européenne et la Renaissance française, la Renaissance européenne, dont Erasme est le principal représentant, étant comme l’écran à travers lequel s’est réfractée la Renaissance italienne pour déterminer les diverses Renaissances nationales. Nous assistons ainsi à la genèse des principales idées qui ont alimenté la pensée française durant tout le XVIe siècle, et, à mesure qu’elles pénètrent dans de nouveaux milieux, nous les voyons se développer, se modifier aussi, s’enrichir de nouveaux élémens, engendrer de nouvelles conséquences. En un mot, nous voyons se composer peu à peu et se former sous nos yeux l’esprit du classicisme français, et, comme eût dit Taine, le modèle idéal qui va régner pendant près de trois siècles. Et l’historien peut alors conclure : « Nous sommes arrivés au seuil de l’histoire de la Littérature française classique ; nous y touchons. Italiennes d’abord, « Européennes » ensuite, Françaises enfin, nous avons essayé, non pas de « préciser, » — nous n’y réussirons, si nous y réussissons, qu’au bout de notre tâche, — mais de « nommer » au moins les idées que le mouvement de la Renaissance a jetées dans la circulation. C’est maintenant la propagation de ces idées, c’en est le jeu, la combinaison, les rapports ou les contrariétés entre elles, c’en est aussi la « dénaturation » qu’il s’agit d’étudier chez les hommes et à travers les œuvres. »

Cette « dénaturation, » Ferdinand Brunetière n’oublie jamais d’en rechercher l’expression dans toutes les œuvres particulières qu’il examine successivement. Il est un mot de Taine auquel il eût souscrit de tout son cœur : « Il y a une philosophie sous toute littérature. Au fond de chaque œuvre d’art est une idée de la nature et de la vie ; c’est cette idée qui mène le poète : soit qu’il le sache, soit qu’il l’ignore, il écrit pour la rendre sensible, et les personnages qu’il façonne, comme les événemens qu’il arrange, ne servent qu’à produire à la lumière la sourde conception créatrice qui les suscite et les unit. » Ces lignes auraient pu servir de devise ou d’épigraphe à cette Histoire