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Arméniens, 50 000 Juifs, 10 000 Guèbres. La besogne centralisatrice est également avancée ; les tribus tendent de plus en plus à se perdre dans la masse des rayas ; celles qui subsistent encore le doivent à leur nombre, au refuge de leurs montagnes ou à leur situation excentrique ; aucune d’entre elles n’est assez puissante pour échapper complètement au pouvoir royal.

Avant que la révolution persane eût fait intervenir dans le gouvernement un modeste début de contrôle populaire, le Shah était, en droit, maître absolu d’un pays, qui n’avait jamais connu d’autre régime que l’autocratie. Du haut de son trône, dans l’éclat des pierreries, il présentait à la foule une apparition surhumaine, dont émanait un irrésistible pouvoir. Sa Cour ne comprenait que des domestiques, courbés devant la majesté souveraine. Parmi eux, à défaut de princes Kadjars, sans souci de l’âge ni de la capacité, la fantaisie royale désignait les satrapes chargés d’administrer les provinces. Le gouverneur favorisé partait à la curée, suivi d’un flot de domestiques, qui se répartissaient à leur tour les fonctions subalternes. Sans murmures, le peuple iranien subissait ainsi une hiérarchie de domestiques, sur laquelle planait la personne du Shah. La soumission était telle que l’ordre se maintenait de lui-même ; l’armée n’était qu’un fantôme, la police assurée par quelques cavaliers… D’administration, point : d’innombrables ministres étaient titulaires de départemens inexistans, et leurs agens dans les provinces jouissaient de paisibles sinécures. Un corps de Moustofis tenait une apparence de comptabilité. Le Sadaa’zam suffisait à diriger la politique, c’est-à-dire à maintenir coordonnés, par une intelligente diplomatie, les divers élémens du royaume. Le paysan payait l’impôt, mais il était admis que le produit n’en arrivât jamais au Trésor ; l’argent était détourné par les intermédiaires, fournissait un nombre exagéré de traitemens et de pensions ; souvent même il était immédiatement perçu par les bénéficiaires de tiyyoûls. D’un mouvement ininterrompu, la substance du pays remontait vers le Shah, à titre de pîchkechs, destinés à capter la faveur souveraine ; il redescendait d’en haut, sous forme d’an’âm ; car l’habitude des cadeaux fait le fond des rapports entre Persans. Pour gouverner l’indolence raffinée de l’Iran, il suffisait au Shah de distribuer autour de lui des diamans et des cachemires, d’attribuer, sous des noms divers, des sinécures identiques, de concéder grades, pensions et tiyyoûls