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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/631

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soient pas désignés par une longue hérédité religieuse. Parmi les moudjteheds d’un même lieu, la voix publique en distingue certains comme grands moudjteheds ; et tous les grands moudjteheds du Chiisme se plient à l’autorité d’un ou plusieurs d’entre eux, envisagés comme chefs suprêmes de la religion. Au XVIIIe siècle, quand les pontifes d’Ispahan eurent cessé de dominer le Chiisme, il y eut un moudjtehed de Koum qui jouit d’une universelle autorité. Depuis l’avènement des Kadjars, la capitale religieuse a été transférée aux Lieux Saints de l’Irak-Arabi, principalement à Nedjef, auprès du tombeau d’Ali. Les moudjteheds des Villes Saintes, — Nedjef, Kerbéla, Kazemein, Samarra, — tranchent, comme juges suprêmes, les procès à eux soumis par les pèlerins et dispensent leur enseignement aux étudians accourus de tous les points de l’Iran. Le gros des oulémas, c’est-à-dire le clergé supérieur de la Perse, est désormais formé par les Pères de Nedjef ; le plus illustre d’entre eux, Akhound Mollah Kazem Khorassani, peut être considéré, à l’heure actuelle, comme le suprême pontife du Chiisme.

Gardiens de la religion nationale, dispensateurs de l’enseignement, juges uniques en matière religieuse, appuyés sur le peuple des mollahs et des seyyeds, les moudjteheds possédaient seuls une autorité suffisante, pour tenir tête au pouvoir royal, dont ils prétendaient critiquer les actes, à la lumière de la religion. Ils formaient une apparence d’opinion publique et se posaient éventuellement en tribuns populaires contre l’arbitraire des grands. En fait, deux pouvoirs coexistaient en Perse, se contrebalançant l’un par l’autre : le pouvoir civil, représenté par la Cour ; le pouvoir religieux, par les moudjteheds. De l’harmonie des deux pouvoirs résultait la paix publique.

La situation réciproque de l’élément civil et de l’élément religieux varie sur chaque point de l’Iran. Nulle part, sauf dans les principales villes, où s’est développée une classe intermédiaire, composée de négocians, d’employés et de propriétaires aisés, il n’existe de classe moyenne. Le pays appartient tout entier à une aristocratie restreinte, enrichie par le pouvoir ou par la religion. C’est pour cette aristocratie que peine, résignée, la masse populaire, constamment fixée au sol, sauf pendant les pèlerinages périodiques, qui l’attirent aux divers Lieux Saints du Chiisme. Téhéran est à la Cour ; Méchhed au personnel du tombeau de l’Imam Rézâ ; Koum au gardien du tombeau de Fàtémé.