Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immédiatement après, Kermanchah se débarrassait de son gouverneur, qui tenait la province avec l’appui des grands chefs kurdes. A la fin du mois de mai, ce fut le tour de Chiraz.

Tout le charme, toute la poésie de l’Iran se concentrent dans la vallée de Chiraz. Que l’on y vienne des déserts du Nord, en passant devant le tombeau de Cyrus à Pasargade et la colonnade ruinée de Persépolis ; ou que l’on arrive des solitudes du golfe par l’âpre montée des Kotals, le contraste de la plaine, verte et fleurie, entre les lignes de montagnes grises, produit une impression délicieuse. Chirdz’Djanet Teraz, Chiraz semblable au paradis, dit le proverbe persan. La route d’Ispahan descend le vallon de Rouknâbâd et traverse le Tangué-Allâh-Akbar : le défilé doit son nom « Dieu est grand ! » à l’exclamation admirative, que provoque, chez tout voyageur sensible, le merveilleux aspect de Chiraz. Ceinte de murs, la ville est au centre de la plaine : l’Ark, le bazar Vékil, les coupoles en faïences de trois imam-zadés, fils du septième Imam, dominent la masse des maisons de briques, où vivent quelque 60 000 habitans. A perte de vue, s’étendent les champs cultivés, les bouquets de platanes, les jardins plantés de pins et de cyprès. Un vallon latéral abrite la tombe de Saadî ; au pied même du défilé, au Mosallâ, se trouve celle de Hâfiz. La pierre tombale porte inscrits des vers du poète invitant au plaisir la suite des générations. « Que ce tombeau soit un lieu de pèlerinage pour tous les amans de la terre !… Si vous venez vous asseoir sur ma tombe, apportez-y du vin et de la musique ; dans la joie de vous voir, je me lèverai, en dansant, du cercueil. » Les Chîrâzîs ont suivi les conseils de Hâfiz : ils sont fins et voluptueux, pleins d’eux-mêmes et de la gloire de leur ville ; ils festoient doucement aux tombeaux de leurs poètes et dans les enclos de derviches, disséminés sur les pentes de leurs montagnes. Ils forment une oasis iranienne de commerce et de culture, au milieu d’une grande province, où des tribus turques, résidu des invasions Seldjoukides, et des Arabes venus de l’Arabistan, maintiennent la primitive sauvagerie fie la vie nomade. A travers toute l’histoire iranienne, l’éloignement n’a cessé de favoriser le caractère indépendant du Fars. Sous les Achéménides et les Sassanides, il domina l’Iran. Quand le pouvoir se transporta vers le Nord, il y fallut une autorité incontestée, s’imposant à l’ensemble du pays, pour empêcher les dynasties locales de s’épanouir à Chiraz. Au XVIIIe siècle, Kerîm Khân