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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/649

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Cheikh Yahya ; le fils de ce dernier, Mo’îne-è-Char’ié, gouverne le district de Kazeroun. Le gardien du tombeau de Schâh Tchirâgh concilie prudemment une aussi redoutable influence.

En dehors de deux Français et d’un Allemand, la petite colonie européenne de Chiraz est exclusivement anglaise : la banque, le télégraphe, la mission anglicane et quelques maisons de commerce.

Jusqu’ici, la faveur britannique garantissait l’omnipotence des Kawâms et l’intangibilité de leurs biens contre les rigueurs du pouvoir royal. Les infortunés gouverneurs de Chiraz s’épuisaient à lutter contre la fatalité des circonstances ; s’ils cherchaient à attiser les mécontentemens locaux ou la turbulence des Kachkaïs, ils se heurtaient aussitôt à la coalition des Kawâms avec le Consul d’Angleterre, et devaient ou bien quitter la place ou se renfermer dans leur sinécure. Il y a deux ans, le prince Choâ’-os-Saltaneh, fils de Mouzaffer-eddîn Schâh, prétendit s’approprier l’ensemble des domaines, hérités du Zend par les Kadjars ; ses exactions froissèrent de si nombreux intérêts qu’il fut chassé par l’indignation populaire. L’agitation dure encore : depuis lors, aucun gouverneur n’a pu s’installer de façon durable. Cependant, la révolution persane suscitait, à Chiraz, un petit noyau libéral, dirigé par le grand moudjtèhed, Mîrzâ Ibrâhîm, qui prétendit fonder la liberté sur les ruines de la famille Kawâm. L’éclat se produisit à la fin de mai : les marchands fermèrent les bazars ; à défaut du consulat d’Angleterre, qui répugnait à recevoir les ennemis de sa clientèle, le bureau du télégraphe indo-européen servit de refuge. Les deux partis adverses, qui tenaient pour ou contre le Kawâm, élurent domicile dans les mosquées ; l’imam-djoumé haranguait les uns, le moudjtehed excitait les autres ; il y eut un grand trouble dans les esprits, aucun dans la rue. A l’occasion de son avènement, Kawâm-ol-Molk avait, selon l’usage persan, versé au nouveau roi 100 000 tomans de pîchkech, afin d’être confirmé dans ses dignités ; il trouvait pénible de les abandonner, après quelques mois seulement d’exercice. A peine revenu de Téhéran, sa vieillesse hésitait à se remettre en route ; car les libéraux, redoutant un retour de l’opinion locale et l’excès même du pouvoir de la famille, réclamaient à grands cris le départ des Kawâms. Après une longue résistance, cette famille trop puissante dut sacrifier ses commodités à l’établissement du régime constitutionnel.