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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/653

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consentait à épargner la Perse. Les Persans ont plus d’intelligence que de caractère ; ils ont pris l’habitude d’osciller entre les deux diplomaties adverses et les circonstances mêmes de leur révolution n’ont fait qu’accentuer ce jeu d’équilibre. Dans l’esprit iranien, l’installation des libertés persanes apparut comme un échec russe, un succès anglais ; aussi, préoccupé d’un refuge en cas d’accident, le Parlement sert-il inconsciemment de jouet à la Légation d’Angleterre, tandis que le Shah recherche un appui à la Légation de Russie. Dans le fond, les deux pouvoirs persans se maintiennent en assez bons termes et, tout en défendant leurs positions respectives, s’entendraient volontiers pour assurer l’indépendance et la réforme du pays. S’il se produit quelque éclat, ce sera, je le crains bien, parce que les agens anglais et russes auront été d’humeur à se chercher noise, favorisant, par leur division même, la pénétration d’une tierce influence.


VI

L’accord du 31 août 1907, qui partage l’Iran en zones d’intérêts entre l’Angleterre et la Russie, parut amer à la susceptibilité persane : toutefois, s’il parvenait à tempérer l’activité locale des agens anglais et russes, il constituerait pour le pays un inappréciable bienfait. Le droit public envisage la Perse comme un État indépendant, que n’affectent ni protectorat ni contrôle ; mais sa situation géographique et sa décomposition politique l’ont, en fait, privé de cet avantage. Depuis que les lignes russes et anglaises se sont rapprochées en Asie, l’Orient moyen est devenu un immense champ de bataille, sur lequel les stratégies adverses marquent des voies d’invasion et des ouvrages de défense. La diplomatie sert les combinaisons élaborées par les militaires et les traités prennent le caractère d’armistices temporaires, fixant les positions réciproques. Du moment que les États interposés sont incapables par eux-mêmes de faire respecter leur neutralité, il n’est plus de souveraineté que les belligérans reconnaissent. S’agit-il de fixer les frontières de la Perse avec la Turquie, l’Asie Centrale ou l’Afghanistan, c’est affaire de l’Angleterre et de la Russie : des officiers anglais et russes interviennent d’autorité dans la délimitation. La Perse elle-même devient un terrain vague, où les deux intérêts rivaux s’introduisent par tous les