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il n’en mettait point en doute la « moralité, » — on sait que, sur ce point, sa pensée n’a guère changé. — Et peut-être se serait-il rallié avec moins d’empressement à la doctrine, s’il n’y avait pas eu entre elle et lui de nombreux points de contact : il était, quoi qu’on en ait dit, par nature d’esprit, un « évolutif ; » et il l’a, du reste, par sa vie même et par son œuvre, très amplement prouvé.

Toutes ces lectures et ces influences, — on ignore exactement à quelle date et dans quelles circonstances, — semblent bien, de très bonne heure, l’avoir détaché de tout dogmatisme religieux. Si fermes et si motivées que dussent être d’ailleurs ses négations, il se gardait bien de les exprimer publiquement. Dans un curieux article de ses débuts, et qu’il n’a point recueilli en volume, sur Renan, il prenait contre l’exquis ironiste la défense des « préjugés sociaux, » et « des choses dont parfois l’aspect peut être ridicule, mais est touchant dans son ridicule même, et nécessaire dans son fond à l’existence morale de l’humanité. » et il ajoutait : « Nous sommes hardiment de l’école de ceux qui, s’ils avaient la main pleine de vérités, hésiteraient à l’ouvrir ou ne le feraient qu’avec d’infinies précautions. » Mais sa pensée ne laissait pas de lui échapper quelquefois. A propos des Blasphèmes : « Si les doctrines que M. Richepin s’est proposé « de frapper jusque dans leurs avatars les plus subtils ou les plus séduisans » n’avaient jamais dû soutenir de plus rudes assauts que les siens, beaucoup d’entre elles seraient aujourd’hui moins branlantes qu’elles ne le sont. » Ailleurs encore, à propos de simples « livres d’étrennes : » « Au fond de tout mysticisme, même le plus pur, il y a je ne sais quoi de malsain et de douteux. »

A différons signes, cependant, on pouvait penser que la question n’était point définitivement résolue pour lui, qu’elle demeurait encore ouverte. « Ce qu’il y a de certain, — déclarait-il ici même, dès son second article, — c’est que la poésie, comme aussi bien l’art en général, comme la philosophie, comme la religion, traversent en ce moment une crise dont il serait présomptueux de vouloir prédire ce qu’il en sortira. » Et autant il mettait de piété à étudier un Bossuet ou un Pascal, — Pascal, « celui de nos grands écrivains, disait-il, que j’aime et je respecte le plus, » — autant il mettait de vivacité à malmener les « libres penseurs, » comme Molinier, ou comme Emile Deschanel, qui ne parlaient pas de ces grands et nobles esprits avec tout le