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son mauvais rire, sous sa menace atroce et son ordre renouvelé de tout dire avant le soir de demain.

Troisième acte : ce soir-là, dans le cimetière et sur la tombe où Pilar a voulu venir demander au mort indulgence et bénédiction pour son nouvel amour. Mais tandis que la douceur des lieux la pénètre, Ramon, lui, n’en ressent que l’effroi. Les prières, les chants qui la charment, le torturent. Jusque dans le psaume des trépassés il retrouve le rythme vengeur et la mélodie implacable. La nuit vient. Il veut, il va crier son crime et son remords. L’aveu s’étrangle dans sa gorge. Cependant Pilar s’incline, gagnée par une étrange langueur, et sur la dalle funèbre elle s’endort à jamais, tandis que, pour jamais aussi, la raison perdue et les yeux fous, Ramon s’éloigne en balbutiant des lambeaux de la habanera.

Musicien dramatique, avons-nous dit, voilà ce qu’est avant tout le musicien de ce drame. Il est cela d’instinct et de nature. Il l’est sans effort, sans recherche comme sans relâche, et le premier acte de son œuvre en donne tout de suite un témoignage éclatant. Une vie intense, — excusez l’apparente contradiction des termes, — anime toute cette histoire de mort. Et cette vie n’a jamais rien de factice, je dirais, si je n’osais, de « plaqué. » La musique ne la surajoute point, après coup, au drame. Celui-ci plutôt semblerait, tellement la musique s’y adapte, y adhère, avoir été conçu, être né sous la forme ou sous les espèces musicales. Il n’est pas une rencontre, même insignifiante, où les deux élémens se trahissent l’un l’autre, ou seulement se contrarient. Pas une fois il n’arrive que la musique altère, esquive la vérité. Mais ne pouvant, ne devant pas interrompre l’action, qui l’entraîne elle-même à sa suite, ce qu’elle perd en étendue, elle le regagne en profondeur. Elle court, sans doute, mais ce n’est point à la surface. Et puis, véridique, rapide, elle est variée aussi. D’un bout à l’autre du premier acte, tout se précipite ; mais par les mouvemens, par les rythmes, tout se renouvelle. Tout se meut dans l’espace et tout change dans la durée. Une chose surtout, une chose de, théâtre, était malaisée à faire, et le compositeur y a brillamment réussi. Sans monotonie et sans disparate, il a su, pendant un acte presque entier, projeter en quelque sorte le drame visible sur un fond de musique extérieure qui s’y rapporte et s’y soumet. Je sais même un endroit où le brusque passage de l’un de ces deux élémens, ou de l’une de ces deux valeurs, à l’autre, produit un grand effet. Enragé d’entendre les bruits joyeux du dehors, et pour ne les entendre plus, Ramon a fermé rudement la fenêtre. Alors et tout d’un coup, à ces bruits qui de loin ne nous paraissaient guère