Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en effet que des bruits, l’orchestre, c’est-à-dire la musique véritable, riposte par une rauque attaque, et bientôt la voix de Ramon, qui se taisait, commence de chanter. Le contraste est saisissant. Il nous jette, encore une fois, d’un ordre sonore dans un autre, un tout autre, et de ce que la vie a de plus extérieur en ce qu’elle a de plus profond. Mais presque partout ailleurs, avec une mesure parfaite et suivant un juste rapport, les deux forces se combinent et la musique se partage entre le décor et l’action. C’est le cas dans la dernière scène du premier acte. Là se mêlent, en un puissant raccourci, les traits et les touches rapides : les plaintes, les sanglots, la psalmodie funéraire des femmes et même le cri d’un petit enfant. Impossible de mieux conclure, plus vite et plus fort, un acte comme celui-là, vivant exemple de ce que souvent on nomme, d’un vilain nom d’ailleurs, le dynamisme des sons.

Leur beauté statique, c’est-à-dire immobile, apparaît en certaines haltes de ce drame, qui parfois s’arrête et se repose : pendant une bonne partie du second acte et au commencement du dernier. Mais ailleurs même, partout ailleurs qu’en ces relâches heureuses, il ne me semble pas, comme à d’autres, que par le musicien de la Habanera, — je ne parle plus du musicien dramatique, mais du musicien tout court, — la musique jamais ait été sacrifiée. Seulement elle consiste en des élémens peu nombreux, simples, choisis, et le plus grand mal que depuis trop longtemps nous fasse une autre, oh ! tout autre musique, c’est de nous rendre insensibles, que dis-je ! réfractaires à cette musique-là. Pour qu’il y ait musique, on ne devrait jamais l’oublier, il suffit parfois de peu de sons. Mais on traite aujourd’hui cette vérité de mensonge. La recherche, la complication, l’embarras, nous ont ôté le goût et jusqu’au sentiment de la sobriété et de la concision éclatante. Or, c’est peut-être par ces deux derniers mots que se définirait le mieux la musique de la Habanera.

Musicale toujours, elle l’est de toutes les manières, excepté la manière obscure, alambiquée et prétentieuse ; hormis aussi la manière triviale, et même pire, que dans un tel sujet on pouvait redouter. Et puis, encore une fois, tout n’est point en abrégé dans cette musique-là. Il arrive qu’elle se développe et se déploie : d’abord au premier acte, dans un monologue de Ramon commençant par ces mots : « Et c’est à moi que l’on dit : Chante ! » Il est fait, ce morceau, d’un thème bref et très caractérisé par le rythme, par l’appui, la pesée d’une note sur une autre note, celle-ci tantôt plus basse et tantôt plus haute d’un ou deux degrés. Ce n’est qu’un accent, qu’un ictus. Mais bientôt