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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/706

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tombe de Pedro, la mélancolie et la paix, le souvenir et l’espérance qui s’unissent dans ce chant encore triste, mais déjà consolé. Annoncée par un court prélude avant le lever du rideau, l’expression de cette cantilène est si juste, qu’elle se vérifie en quelque sorte aussitôt le rideau levé, et que ce que nous voyons encore à peine confirme et couronne tout de suite ce que nous venons d’entendre. Très calme et tout unie, de tonalité pure et blanche, la mélodie se développe, à la fois lente et restreinte en son cours. Sans accidens comme sans écarts, ne se composant que de notes graves d’abord et toujours prochaines, elle s’enferme et se recueille entre des accords à demi religieux. Un seul instant, elle s’égaie et rit, sur un rythme à cinq temps, avec des sonorités légères et qui tintent. Mais déjà nous retombons dans l’angoisse et l’horreur. Voici le retour suprême de la habanera. Imprécise et prochaine, plutôt que réellement présente, elle flotte partout, elle devient l’âme et la voix des choses, de la terre et du soir, des pierres et des croix. Elle rôde autour de Ramon avant de l’assaillir et de le posséder pour jamais. Elle se cache, mais se reconnaît pourtant, agrandie et dilatée, jusque dans les chants liturgiques sur lesquels Pilar essaie encore de poser quelques notes d’une exquise, hélas ! et vaine douceur. Mélodies, harmonies, même un semblant de leitmotiv, en vérité si tout cela n’est pas de la musique, de la plus simple, mais de la plus émouvante, je ne sais vraiment pas où nous trouverons de la musique aujourd’hui.

Nous avons analysé des pages. On pourrait citer même des lignes, des mesures, parfois moins encore, et regarder passer, sur cette œuvre changeante, les ombres et les rayons. Le premier acte abonde en savoureux détails. C’est l’adjuration amoureuse de Pedro à Pilar, très brève, très chaude, et qui monte par élans ou par bonds jusqu’au paroxysme sonore. C’est, au courant du dialogue, mainte allusion vive et pittoresque de l’orchestre à ce que disent ou nomment les voix. Entre autres indications de l’auteur, la partition porte celle-ci : « Dans un moment de douceur, une note dont on n’enflera pas le sens, une parole justement dite protégera le caractère concentré de l’œuvre. » De pareils momens, de douceur ou de violence, ne sont pas rares. Un son, rien qu’un, mis à sa place, comme un mot, avec ce mot surtout, n’aura pas moins que lui de pouvoir. Une note unique et très haute, de flûte peut-être, donne la dernière touche au funèbre tableau sur lequel s’achève le premier acte. Au second, les effets du même genre ne manquent pas. « Un an déjà, Pilar ! » et le pâle rayon sonore tombe tout entier sur ce nom. « Oh ! comme le temps passe ! » L’accent