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rythmique, appuyant sur le dernier mot, le souligne et le prolonge. Une inflexion de la voix, et de la voix nue, à peine ou point accompagnée, prend ainsi des résonances profondes. « Je ne vois que la nuit ! » Cette simple réplique de Pilar à Ramon, et qui voudrait l’apaiser, le trouble davantage au contraire, portant en soi tout le mystère et l’effroi du dehors. Enfin je songe à l’entrée des mendians aveugles. « Trois vieux, » murmure le serviteur qui les guide, et ces deux mots, quand ils tombaient, tremblans, dans le silence de nos veillées romaines, je me rappelle toujours quelle inquiétude, quelle détresse était en eux.

Détails, dira-t-on peut-être, mais détails précieux et qui menaient d’être recueillis. C’est par eux que le drame, très accusé, très concret, s’enveloppe et s’estompe. Ils créent une atmosphère autour de lui et, derrière lui, des lointains. Aussi bien la musique de M. Laparra, sous des dehors éclatans, est quelquefois profonde. Sans jamais cesser d’être celle de la situation, du sentiment ou des personnages, il arrive qu’elle dépasse tout cela. Elle est avec intensité, mais à certains momens elle représente, elle signifie, elle suggère. Taine alors y aurait reconnu la généralité du caractère, un des traits principaux de la véritable beauté. Musique d’Espagne assurément, d’une âpre, sombre et rude Espagne, aussi authentique et plus nouvelle que l’autre, la brillante et la voluptueuse, cette musique est plus que d’un pays et d’une race : elle est de partout, de tous, et sous la couleur locale, elle montre des traits d’humanité. Le chant de Pilar, au début du troisième acte, respire la paix de la tombe et l’éternel repos. La musique du second tableau tout entier nous emmène, bien au-delà du drame particulier, dans le vague et le lointain du mystère, de la mélancolie sans objet et de l’angoisse sans cause. Au lever du rideau surtout, il semble que la plainte funèbre ne commence pas, mais qu’elle est déjà commencée, que depuis longtemps, depuis toujours elle dure et que jamais elle ne cessera. On dirait qu’elle arrive de très loin, non seulement du fond des âges, mais de l’extrémité de la terre, et qu’elle est infinie dans l’espace comme dans la durée. Ici la musique atteint à l’expression du sentiment anonyme, universel, supérieur à tout ce qui le détermine et le personnifie. Elle est la musique par excellence, la musique en soi, qui saisit l’essence même des choses et nous la révèle, dans sa profondeur et dans sa pureté.

Des trois interprètes de la Habanera, le principal n’est peut-être pas le meilleur. M. Séveilhac, un baryton qui débutait par le rôle