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part, emploi simultané du langage artificiel des instrumens et du langage naturel de l’être humain[1]. »

Voilà de judicieuses raisons, tirées apparemment de la nature, et par où d’ailleurs un autre genre que le mélodrame, et qui passe aujourd’hui pour le moins naturel de tous, l’opéra-comique, se pourrait aussi justifier. Quoi qu’il en soit, le mélodrame est un genre difficile, au moins pour l’auditeur, contraint, à de certains momens, de se partager entre deux élémens qui le sollicitent ensemble, et chacun à sa façon. Mais c’est un embarras d’où le public se tire d’ordinaire en n’écoutant pas la musique. Tel fut le cas et le malheur, à l’origine, de l’admirable Artésienne, aujourd’hui glorieuse et même populaire. J’entends encore Alphonse Daudet rappelant cette morne indifférence d’autrefois. « Bizet et moi, disait-il, nous avions le sentiment de nous noyer, avec des colliers de pierreries autour du cou. » Le soir au moins de la répétition générale de Ramuntcho, le public a fait à la musique de M. Pierné l’honneur de l’écouter aussi peu que celle de Bizet. Et cela n’est pas de trop mauvais augure.

Il n’y a pas une contrée en France plus digne d’inspirer un musicien que la mélodieuse « Euskarie. » Aucune de nos provinces n’est plus riche de chants plus originaux et plus colorés. Les Basques font une place à la musique, à leur musique, dans leurs fêtes et leurs jeux, dans les cérémonies et jusque dans les moindres démarches de leur vie de chaque jour. Leurs cantiques d’église ont une étrange et souvent amère saveur. Autour du foyer, l’hiver, l’été sur la place du village, des rapsodes populaires improvisent en se répondant. Ramuntcho, revenant au pays, chantait « une de ces plaintives chansons des vieux temps qui se transmettent au fond des campagnes perdues, et sa naïve voix s’en allait dans la brume ou la pluie, parmi les branches mouillées des chênes. » Pendant la partie de pelote, debout contre le fronton de pierre, le marqueur ne se contente pas d’appeler et d’inscrire les coups : il les chante et les module longuement, d’une traînante voix. Le soir enfin, si vous suivez le cours de la rivière ou la pente du vallon, vous entendrez peut-être monter des eaux ou descendre de la montagne l’étrange mélopée nationale, le cri plaintif et sauvage de l’irrintzina.

Ces élémens nombreux, et précieux, M. Charles Bordes, qui les connaît mieux que personne, les employa naguère dans sa Rapsodie basque et dans un opéra malheureusement inédit, Les trois vogues. Au

  1. F. A Gevaert et J. C. Vollgraff, Les Problèmes musicaux d’Aristote.